Le Bénin est en pleine renaissance artistique. Sa nouvelle politique culturelle, se traduisant par quatre nouveaux projets de musées qui doivent ouvrir dans les cinq prochaines années, ainsi que par l’investissement dans l’éducation et la formation artistiques et la restitution d’objets patrimoniaux, s’inscrit dans une démarche plus globale du président du pays, Patrice Talon, et de son gouvernement. Elle vise à faire des arts le « deuxième pilier » de l’économie, après l’agriculture.
En effet, la restitution par la France, en 2022, de 26 pièces issues du royaume du Dahomey emportés dans l’Hexagone a donné au gouvernement béninois « l’élan » nécessaire pour revitaliser le patrimoine culturel et l’identité du pays, selon la commissaire associée du Pavillon du Bénin, Yassine Lassissi. Cet élan permet au Bénin de participer pour la première fois à la Biennale de Venise.
« C’est un jour spécial qui marque pour nous un tournant crucial dans la reconnaissance de l’art béninois sur la scène artistique mondiale, a déclaré Babola Jean-Michel H. Abimbola, ministre béninois du Tourisme, de la Culture et des Arts le 18 avril 2024 à Venise. Les artistes et professionnels qui sont ici font déjà connaître l’art béninois individuellement. Mais que les pouvoirs publics et que la politique publique du Bénin y contribuent et l’organisent, c’est une première. Cette première apparition de notre pays permet de positionner l’art contemporain du Bénin et de sa diaspora comme un puissant vecteur de la contribution à la prise en charge des défis qui se posent à notre humanité. Ce travail est pour nous l’occasion de révéler la vitalité d’une création contemporaine profondément ancrée, enracinée dans son histoire, mais qui par la même occasion est résolument ouverte sur le monde et sur la modernité. Ce projet politique s’appuie sur le génie de nos créateurs d’hier et d’aujourd’hui ».
L’exposition titrée « Tout ce qui est précieux est fragile » a pour commissaire principal le Nigérian Azu Nwagbogu. Romuald Hazoumè, figure de proue des artistes béninois, expose en compagnie de Moufouli Bello et Ishola Akpo et de l’artiste franco-béninoise Chloé Quenum. Ils abordent quatre thèmes centraux : la femme amazone ou Agojie, la traite des esclaves, la philosophie Gèlèdé et la religion Vaudou.
Ces thèmes sont particulièrement pertinents dans le contexte des développements récents du pays. Ainsi, la religion indigène Vaudou, qui a été largement considérée comme taboue depuis la colonisation, revient en grâce, explique Romuald Hazoumè. Il considère que cette réhabilitation doit beaucoup à l’action du gouvernement en faveur du patrimoine béninois et de sa promotion. Cette année, le Bénin a organisé le premier festival des Journées Vaudou, un programme culturel et spirituel qui s’est déroulé dans la ville de Ouidah les 9 et 10 janvier.
L’œuvre de Romuald Hazoumè, dôme constitué de bidons d’essence, traite directement de la religion ainsi que du rôle sacré des femmes dans ses rites. En effet, l’Amazone ou Agojie est une femme dont le rôle dans la société est en train d’être réexaminé. L’ancienne classe de guerrières du Dahomey a fait l’objet du film hollywoodien The Woman King (2022), de Gina Prince-Bythewood, avec Viola Davis. La même année, le gouvernement béninois a commandé une sculpture de 30 mètres de haut représentant une guerrière, qui se trouve aujourd’hui sur l’Esplanade des Amazones, une place publique de Cotonou, la plus grande ville du pays.
L’œuvre de Moufouli Bello, qui explore les désirs et les limites des femmes dans la société béninoise, est réalisée dans le bleu batik qui a fait la réputation de l’artiste. Pour son travail, Moufouli Bello a pris des photos de femmes ordinaires qui travaillent près de son atelier à Cotonou, notamment des coiffeuses et des couturières, ainsi que des membres de leur famille. Pour les encourager à se détendre lors de la prise de vue, elle a d’abord parlé avec les participantes de leurs espoirs et de leurs rêves, ce qui leur a permis de « s’épanouir devant l’appareil photo » et de voir qu’« elles ne peuvent pas être des personnages secondaires dans leur propre vie ».
Son travail est également influencé par la pratique Gèlèdé que Moufouli Bello a observée dans son enfance : une cérémonie de danse traditionnelle et spirituelle de la communauté yuroba-nago axée sur la maternité. Moufouli Bello a été influencée par les capacités de prise de décision des femmes et notamment de sa grand-mère.
La grand-mère d’Ishola Akpo, qui était prêtre vaudou, est également très présente dans son travail. Ce dernier se définit comme un artiste multimédia qui utilise la photographie pour « questionner la mémoire ». Azu Nwagbogu décrit le travail Ishola Akpo comme une « fouille archéologique de l’histoire ». Son œuvre pour le pavillon s’inscrit dans sa série récente intitulée Agbara Women (agbara est le mot yoruba pour pouvoir). Dans ce projet, l’artiste prend des images d’archives de rois africains et les réimagine en tant que reines, les grandes absentes de l’histoire. Akpo remet ici en question la place et le pouvoir des femmes dans la société.
Enfin, Chloé Quenum, seule artiste du pavillon à avoir grandi hors du Bénin, réfléchit à la « fragilité de la diaspora ». Chloé Quenum a visité le musée du Quai Branly-Jacques Chirac à Paris pour examiner les instruments de musique béninois historiques de sa collection. Pour le pavillon, elle propose des reproductions de ces pièces – avec une marge d’interprétation et de créativité – en verre. En retraçant la façon dont ces instruments sont arrivés au Quai Branly, leur histoire et leur état actuel, Chloé Quenum raconte la délicate histoire du patrimoine, de l’identité et des connaissances béninoises, en prêtant attention à la traite transatlantique des esclaves. Elle note que le site de l’Arsenale, avec son histoire de chantier naval et ses liens avec les routes vénitiennes de l’esclavage et du commerce, confère à l’œuvre une signification supplémentaire.
Azu Nwagbogu explique qu’il était essentiel que le pavillon prenne la forme d’« une grande exposition », plutôt que de quatre présentations personnelles. Les artistes considèrent ainsi que leurs œuvres sont « en conversation » les unes avec les autres. Elles sont représentatives de l’état d’esprit et de l’évolution du pays. Pour l’équipe curatoriale, il est en effet essentiel que le pavillon traite du présent du Bénin, même s’il s’inspire également de la riche histoire du pays. « Le Bénin est le seul pays [d’Afrique] à faire ce travail important de création d’une nouvelle relation esthétique entre les pièces traditionnelles et l’art du présent », explique Azu Nwagbogu.
60e Exposition internationale d’art de la Biennale de Venise, du 20 avril au 24 novembre 2024, Giardini et Arsenale, Venise