Hernan Bas : The First and The Last
Dans les titres de ce très large ensemble de peintures et de dessins d’Hernan Bas, le mot « last » l’emporte largement sur le mot « first » et quand les deux sont associés sur le mode « the first and the last… », c’est bien entendu toujours le dernier qui gagne. Ces portraits de jeunes hommes sont capturés dans des situations quotidiennes (chez soi ou en voyage) et dans d’autres qui le sont beaucoup moins, qui frisent avec l’absurde et l’esprit potache dans un sens souvent macabre.
Hernan Bas nous offre la comédie d’une communauté humaine, sans doute à moitié rêvée, dans toute sa beauté et son immaturité. Les quelques verres d’absinthe font le lien avec Paris en un siècle où les dandys cultivaient le spleen, le tee-shirt de ce marathonien de la danse nous renvoie à la Dépression des années 1920.
Dans un grand tableau, l’artiste élève le ton et la voix. The Last Museum Guard at the Last Museum on Earth montre un jeune homme en costume austère et chic, soldat de l’inutile, devant Guernica en partie caché par la verdure, et un signe « No photography ». Il y a un peu d’herbe au sol dans ce dernier musée sur terre qui doit probablement être une serre. Le tableau de Picasso ne perd jamais de son actualité. Le citer en 2024, fût-ce avec distance, dans un esprit pré-apocalyptique, vaut comme point de vue sur l’art et ce qui nous y attache.
Du 13 avril au 1er juin 2024, Perrotin, 76, rue de Turenne, 75003 Paris
Daniel Steegmann Mangrané : La Pensée férale
Daniel Steegmann Mangrané a conçu « La Pensée férale » en deux volets dans deux galeries. L’argument est fourni par un texte en sept parties de l’essayiste Juliana Fausto qui s’inscrit sur les murs de la galerie Esther Schipper. La pensée férale est une réponse à La Pensée sauvage de Claude Lévi-Strauss. Il n’est plus question d’une pensée primordiale, mais de ce qu’est ou pourrait être une décolonisation de la pensée. À l’appui de cette réflexion, figure l’exemple de ces chiens-féraux qui errent dans les forêts, qui n’appartiennent ni à la nature ni à la culture et sont devenus un danger pour les autres espèces. En regard du texte de Juliana Fausto sont présentés sept grandes photos d’arbres photographiés dans le parc national de Tijuca à Rio, première réserve écologique conçue au XIXe siècle. L’image agrandie d’un œil de chien se rencontre sur les arbres ou sur le sol et font de Tijuca le lieu symbolique d’une pensée qui se construit.
Dans la galerie Mendes Wood DM, on trouve des bouts d’écorce de chêne qui portent des yeux incrustés. Ces morceaux proviennent d’un arbre tricentenaire de Barcelone mort des effets du climat.
Dans le premier lieu (Esther Schipper) sont exposées de minces brindilles fendues en deux et suspendues par des fils, de petites feuilles couvertes d’or, images d’un art contemporain en quête de naturel, à moins qu’il ne s’agisse déjà de féralisme. Dans le second lieu (Mendes Wood DM), on voit des hologrammes de plantes dans un esprit musée des sciences et l’on retrouve dans un film l’image obsédante de l’œil de chien plongée cette fois dans un bassin où s’activent des têtards. Daniel Steegmann-Mangrané construit un subtil récit d’ethno-fiction qui se double d’un parcours dans la ville.
Du 2 avril au 26 mai 2024, Esther Schipper, 16 place Vendôme, 75001 Paris ; Mendes Wood DM, 25 place des Vosges, 75004 Paris
Ida Ekblad : Strange Freedoms
Au centre de sa nouvelle exposition de tableaux, Ida Ekblad a disposé un grand poêle norvégien bleu roi et vermillon. Comme dans la tradition nationale, le poêle porte des images et des mots, c’est un objet utilitaire en même temps qu’un livre. Par cette présence, l’artiste symboliquement nous accueille et partage un élément clé dans la construction de son travail.
Les tableaux sont des abstractions composées à partir de motifs empruntés à des sources diverses non-identifiables (« Moscou dans les années soixante, le parapluie de Marylin Monroe, la dentelle suédoise ») mais aussi de fleurs. La peinture est appliquée en couches très épaisses et comme malaxée, une riche matière portée par la toile et qui s’affronte à l’espace. Dans les gestes, dans la palette, on songe à CoBrA mais sans la rage expressive et avec, au contraire, un sens assumé du décoratif.
Dans la petite galerie, de l’autre côté de la rue, Ekblad expose une sculpture, un bronze peint, en plusieurs éléments qui apparaît comme le prolongement direct de ses tableaux. Blocs de matière vivants et grotesques.
Du 13 avril au 25 mai 2024, Max Hetzler, 46 & 57, rue du Temple, 75003 Paris
Ruf/Simon
Philipp Simon et Max Ruf ont conçu leur exposition en duo non pas comme un simple arrangement de circonstance mais comme une création commune. Le premier a choisi de n’exposer que des dessins. Ce sont des exercices formels ou des dessins projectifs, jusqu’à des visions de science-fiction.
Les œuvres sont encadrées avec baguette en bois peint et verre musée de façon à les faire apparaître autant comme des objets.
Les abstractions de Max Ruf n’ont pas de titre et leurs sous-titres sont strictement descriptifs. Elles sont parfois simples comme cette trame de gros pois noirs et rouges sur fond blanc qui ouvre l’exposition, ou, au contraire, très élaborées et longuement travaillées. Nourri de culture visuelle et de références picturales, Ruf travaille, retravaille, corrige, efface, comme s’il tentait de retrouver avec les brosses et les outils grossiers du peintre la profondeur et la complexité de l’espace électronique. Il combine ou superpose pois et réseaux de lignes. En fin de parcours, un ultime tableau révèle un dense réseau de perles cosmiques et de lignes sur différents plans vert, bleu et noir. Un subtil équilibre entre travail de la forme et espace de l’imaginaire.
Les dessins de Simon et les tableaux de Ruf sont rapprochés par des affinités visuelles ou conceptuelles, évidentes ou secrètes.
Du 28 mars au 4 mai 2024, Lo Brutto Stahl, 21, rue des Vertus, 75003 Paris