Christian Simenc : Vous assisterez ce mardi 23 avril 2024 au premier coup de pelle du chantier du Pavillon français pour l’Exposition universelle Osaka 2025, dont l’ouverture est prévue le 13 avril 2025. Pouvez-vous nous présenter sa thématique ?
Jacques Maire : Le Pavillon France sera très différent de celui de Milan en 2015 ou de Dubaï en 2020. En général, un pavillon national sert à montrer les dernières innovations du pays. Or, nous avons estimé que nous ne remporterions pas les défis du monde simplement par le progrès technique, mais également à travers notre héritage culturel et nos valeurs. Alors que nous traversons une crise sociale et climatique sans précédent, nous nous sommes demandé quelle serait la valeur qui donne un sens à la vie ? Cette valeur, c’est… l’amour : l’amour de soi – santé, éducation… –, l’amour des autres – inclusion, art de vivre, gastronomie, sport… –, l’amour de la nature – biodiversité, transition écologique… –, enfin l’amour entre la France et le Japon.
Le Japon fait aujourd’hui face à une profonde crise anthropologique autour de l’amour. Un chiffre : 30 % des Japonaises de 15 à 50 ans disent avoir un amour virtuel. Le taux de fécondité est au plus bas, les mariages en forte chute et la population vieillissante. La nouvelle génération remet tout en cause : le couple, le mariage, la sexualité, le modèle socio-économique, les rapports homme-femme… C’est pourquoi nous avons imaginé un Pavillon davantage centré autour des sens, attractif pour divers publics et en particulier les jeunes Japonais – 80 % des visiteurs seront des locaux. Le travail envers les séniors japonais a été fait, il faut maintenant préparer l’avenir.
Pouvez-vous décrire cette architecture imaginée par l’agence française Coldefy, en collaboration avec le cabinet italien Carlo Ratti ?
Nombre de pavillons vont afficher des kyrielles d’écrans géants, afin d’attirer le « chaland ». L’élégance, pour nous, est, a contrario, de ne pas tout dévoiler d’un coup. Les façades du Pavillon consistent en de hauts voiles textiles, tels de grands rideaux de théâtre, une beauté extérieure qui dissimule une beauté intérieure. Un monumental escalier habillé d’un métal couleur cuivre rosé, émergeant d’un nuage de tubes en polycarbonate et menant le visiteur à l’étage, rendra cette façade aussi « vivante » que la « chenille » du Centre Pompidou, à Paris. À l’inverse d’un écran, c’est l’humain qui devient le sujet de la façade.
Le principe architectural est très simple : d’une part, une structure métallique poteaux-poutres totalement réutilisable ou recyclable ; de l’autre, des locaux techniques préfabriqués, loués pour l’occasion. Un auvent protège, du soleil ou de la pluie, 700 à 800 visiteurs. Un toit végétalisé et une ventilation naturelle permettent de contrôler la température. Pour abaisser davantage encore le coût au mètre carré de la construction, j’ai proposé au constructeur de devenir propriétaire du bâtiment à la fin de l’Exposition universelle.
Comment le parcours se déploie-t-il à l’intérieur du Pavillon ?
L’exposition permanente consiste en une expérience immersive d’une vingtaine de minutes dans un espace d’environ 1 000 m2, « une promenade amoureuse en France » passant par un jardin, au rez-de-chaussée, dans lequel trônera un olivier millénaire. Celle-ci a été imaginée par l’artiste Justine Emard, directrice artistique. Les savoir-faire seront à l’honneur et l’on y trouvera, entre autres, des œuvres d’art – Notre-Dame de Paris, GrandPalaisRmn, les musées Bourdelle ou Rodin sont sur les rangs, tout comme l’Opéra de Paris –, avec sans doute davantage de sculptures que de peintures, car les conditions hygrométriques sont très complexes. Dès l’entrée, le ton sera donné avec une tapisserie d’Aubusson réalisée à partir d’une capture d’écran du film d’animation Princesse Mononoké de Hayao Miyazaki. Une pièce monumentale de 25 m2 et 5 mètres de haut, symbole de l’amour entre la France et le Japon.
La création contemporaine, dont les arts décoratifs, sera également montrée, mais dans des lieux spécifiques comme les salons de réception ou de coworking, lieux décorés par le designer José Lévy. Un espace d’exposition temporaire accueillera six présentations d’un mois chacune, dont une sur les océans, une autre sur la mode par la Maison Céline ou sur les innovations technologiques par le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives. Auront lieu également 12 quinzaines thématiques (santé, création, climat…) et des événements B to B. Entre autres personnalités artistiques, Riad Sattouf, Mathieu Sapin et Pénélope Bagieu seront présents pour « La Journée de la France », le 13 septembre 2025. Les visiteurs trouveront, aussi, un bistrot, une boulangerie et une boutique, ainsi qu’un espace de conférence/ciné-club pour 150 personnes. Tous les visiteurs pourront accéder, à un moment ou à un autre de la programmation, aux 4 000 m2 du bâtiment.
Le contenu de l’exposition permanente, les noms des auteurs – plasticiens ou scénographes – des installations et l’ensemble des aménagements intérieurs seront dévoilés en décembre prochain.
Que pensez-vous de l’emplacement dévolu au Pavillon France ?
C’est une position stratégique, juste en face de l’entrée principale où se presseront quelque 20 000 à 30 000 personnes par heure. Dans le même laps de temps, nous pourrons en accueillir 2 500 à 3 000 au maximum. Pour ne produire aucune frustration, nous avons créé un « Pavillon virtuel », une première pour la France ! Il permettra une visite virtuelle intérieure et extérieure à tous les publics « empêchés », que ce soit par l’argent, par la distance ou, in situ, par la foule, ou pour celui qui ne s’y rend pas spontanément. Une « visite » que l’on peut faire de chez soi et qui vise, notamment, les jeunes.
Cette Exposition universelle sera-t-elle une occasion de tisser de nouveaux liens avec le Japon ?
L’image de la France comme puissance industrielle n’est pas assez présente au Japon. En réalité, il existe quelques acteurs pour lesquels l’activité est très forte, comme les secteurs du nucléaire ou de l’hydrogène. L’objectif, avec ce Pavillon, est de multiplier les échanges et les partenariats avec le Japon. Dans le monde actuel très concurrentiel, la France y a subi une perte d’attractivité. Ce Pavillon doit être celui de la reconquête. Voilà notre mandat !
Quel est le budget de ce Pavillon ?
Un peu plus de 55 millions d’euros. Ce montant comprend les salaires de l’équipe permanente de la COFREX [Compagnie Française des Expositions qui gère la présence française dans les événements internationaux grand public], la construction et l’exploitation du Pavillon, ainsi que l’activation de la programmation durant les six mois de l’Exposition universelle : conférences, concerts, projections, etc. Le mécénat, les partenariats en ingénierie et dons en nature complètent ce budget.