C’est un petit bout d’une grande histoire qui va être dispersé en juin 2024 par Christie’s à Paris : celle de la Collection d’art de Renault. L’ancienne régie avait entrepris, à la fin des années 1960, d’acheter des œuvres d’artistes contemporains, leur passant de nombreuses commandes et présentant leurs pièces dans les locaux de l’entreprise, diffusant ainsi l’art auprès d’ouvriers peu familiers de la création. C’est cette aventure pionnière que retrace la vente du 6 juin, constituée de 33 pièces importantes (estimation prudente de 4,5 à 6,3 millions d’euros) et complétées par une vente en ligne de trente œuvres sur papier d’Henri Michaux évaluées à plusieurs milliers d’euros chacune et sans prix de réserve.
Épousant l’optimisme et la prospérité économique de la France pendant les Trente Glorieuses, dans un esprit très « Pompidolien », le projet de la collection est venu de Claude-Louis Renard, cadre supérieur de Renault, soutenu par le PDG de l’époque, Pierre Dreyfus. « Par ailleurs proche d’André Malraux, Claude-Louis Renard avait vécu aux États-Unis, et compris ce qu’était le mécénat d’entreprise, avec pour idée fixe de faire rentrer l’art au sein de l’entreprise », résume Paul Nyzam, en charge de la vente chez Christie’s. Une démarche ambitieuse et novatrice, des années-lumière avant les avantages fiscaux accordés aux collections d’entreprises… C’est ainsi que des installations de Soto ornaient la cantine, des peintures de Dewasne étaient accrochées dans les locaux informatiques, une installation de Julio Le Parc présentée au technocentre de Saint-Quentin-en-Yvelines… Au total, ce sont plus de 500 œuvres qui seront rassemblées principalement pendant vingt ans, de 1967 à 1986, avant que le contexte économique ne mette un coup de frein aux achats ! Puis, la collection deviendra « dormante » au gré des changements de direction de l’entreprise. Dans les années 2000, Ann Hindry, alors conservatrice de la collection, en dressera l’inventaire, et la fera tourner notamment au Japon ou en Amérique du Sud, dans des expositions en liens avec la marque…
« Dans l’aréopage de collections d’entreprise qui se constituent et s’exposent aujourd’hui, la collection Renault fait figure d’aïeule, et comme toute image tutélaire, elle est à la fois une référence indiscutable et un modèle, mais elle apparaît aussi figée dans un grand moment », résume Ann Hindry dans un livre publié en 2009 chez Flammarion. La volonté d’internationalisation était flagrante. Sur les 28 artistes formant la collection, la moitié sont d’origine étrangères. On retrouve ainsi dans la vente de juin des œuvres de Jean Dubuffet, Victor Vasarely, Niki de Saint Phalle, Jean Fautrier… mais également de Robert Rauschenberg, Sam Francis, Jesús-Rafael Soto, Julio Le Parc… « Nous avons sélectionné les œuvres avec la volonté de ne pas démembrer des ensembles constitués. Par exemple, la collection comprend 53 Vasarely, nous en vendons seulement trois », précise Paul Nyzam. L’entreprise garde par ailleurs de nombreuses œuvres liées à l’histoire de l’automobile, de César à Erró.
Jean Dubuffet domine la vente avec plusieurs pièces issues du cycle de l’Hourloupe : Lice tapisse (de 1 à 1,5 million d’euros) ; Le Moment critique (site avec deux personnages), évalué de 600 000 à 800 000 euros) ou encore Fiston la Filoche (de 400 000 à 600 000 euros). Un épisode fera date et même jurisprudence dans l’histoire de la Régie Renault avec Dubuffet, qui fera un procès au début des années 1980 à l’entreprise et le remportera, pour Salon d’été, une commande passée à l’artiste… et ensuite abandonnée par le commanditaire.
Auteur du fameux losange Renault, utilisé jusqu’en 1992, Victor Vasarely est représenté dans la vente de juin par trois peintures : Tonk (est. 100 000-150 000 euros) ; Re-Na (est. 60 000-80 000 euros) et CTA102 (50 000-70 000 euros). L’art cinétique occupe une place importante avec notamment Grand Amarillo de Jesús-Rafael Soto (est. 180 000-250 000 euros) ou Volume virtuel de Julio Le Parc (est. 50 000-70 000 euros). Enfin, Sam Francis (Sans titre, est. 200 000-300 000 euros) ou Robert Rauschenberg (Sans titre, est. 180 000-250 000 euros) représentent quant à eux l’art américain de l’époque, l’un des déclencheurs de la collection…
La plupart des œuvres ont été commandées ou achetées aux artistes, une fraîcheur que devraient fortement apprécier les enchérisseurs… L’objectif de Renault aujourd’hui est d’héberger la collection au sein d’un nouveau fonds de dotation pour l’art, la culture et le patrimoine… et de se concentrer sur des achats d’œuvres de street art, peut-être plus en phase avec la « rue », lieu de circulation des voitures Renault. Autres temps, autres ambitions.
« Collection Renault, un temps d’avance », le 6 juin à 17h30, Christie’s, 9 avenue Matignon, 75009 Paris, www.christies.com ; Vente en ligne du 30 mai au 7 juin 2024.