Retracer l’histoire d’une association n’est pas toujours chose simple, surtout quand elle a plus d’un siècle. Les Amis du Centre Pompidou se sont lancés dans cet important travail de recherche dans les archives, en partenariat avec la bibliothèque Kandinsky, pour publier le récit de cet engagement philanthropique et de la constitution de la collection exposée au Centre Pompidou, mais également dans ses musées répartis à travers le monde. Cet ouvrage, Amis, 120 ans avec le Musée national d’art moderne, paraît sous la direction de Nicolas Liucci-Goutnikov et Helène Gheysens. « Les archives des Amis ont été conservées de manière très précieuse tout au long des différentes présidences. Cet ensemble a constitué un point de départ important, enrichi par un travail d’identification complémentaire à l’occasion du centenaire de l’association en 2003. Nous avons parachevé cette collecte grâce à l’exploration des Archives nationales, des archives du Centre Pompidou ainsi que par l’ajout de sources privées des collectionneurs. Cela démontre, s’il était nécessaire, l’importance stratégique de l’accès aux sources pour l’historiographie », précise cette dernière, secrétaire générale de l’association.
La création de la société
C’est au tout début du XXe siècle, en 1903 précisément, que naît la Société des Amis du musée du Luxembourg, prémices de ce qui deviendra bien plus tard la Société des Amis du Centre Pompidou. Au cours des 120 années qui se sont écoulées, amateurs d’art, fortunés ou non, ont mis leur énergie et leurs moyens au service d’une collection d’art moderne et contemporain parmi les plus importantes au monde, si ce n’est la première. La Société a bien sûr évolué, dans sa structure et ses actions, pour compter aujourd’hui environ 800 membres de 45 nationalités. Mais elle est restée fidèle à l’engagement des 8 premiers fondateurs de ce cercle, qui, dès 1905, propose de faire don à l’État d’un tableau d’Henri de Toulouse-Lautrec, une œuvre qui sera d’ailleurs refusée à l’époque par le Conseil des musées nationaux. Les Amis acquièrent tout de même en 1910 pour le musée du Luxembourg un Portrait de Paul Verlaine (1890) par Eugène Carrière, à présent affecté au musée d’Orsay.
En 1924, alors que l’association est présidée par Charles Pacquement, elle obtient le statut de société d’utilité publique, deux ans après la création, à côté du musée du Luxembourg consacré aux artistes de la scène française, du musée du Jeu de Paume dédié quant à lui aux écoles étrangères. Ces deux collections fusionnent en 1947 lorsqu’est créé au Palais de Tokyo le musée national d’Art moderne, moment où l’association change elle aussi de nom pour devenir la Société des Amis du musée national d’Art moderne. Ses statuts précisent alors qu’elle « doit encourager l’art moderne en France, favoriser sa propagande et enrichir les collections du musée national d’Art à Paris et des musées de province ». Parallèlement à ses acquisitions pour l’institution, les Amis coordonnent nombre d’expositions et ceci depuis leur constitution. Ce champ d’action qui a été pratiquement abandonné de nos jours – l’exposition « Fruits de la passion. Les 10 ans du Projet pour l’art contemporain » remonte à 2014 – a connu une activité soutenue, jusqu’à, par exemple, « French Paintings since 1900 : from Private collections in France », manifestation organisée par les Amis à la Royal Academy of Art, à Londres, en 1969 ; une action de promotion de la scène française que reprend aujourd’hui à son compte l’Adiaf (Association pour la diffusion internationale de l’art français).
La féminisation de l’association n’interviendra qu’à partir de 1962, avec l’entrée au conseil d’administration d’Alix de Rothschild, laquelle, comme le précise Julie Verlaine dans l’ouvrage, impulsera « des changements décisifs qui transforment le club de collectionneurs-donateurs en une association proposant à ses membres des visites, des voyages et une découverte de l’art plus contemporain, qui la passionne ».
La diversification des missions
Le grand changement, qui ne se fera pas sans douleur, sera celui du passage du Palais de Tokyo au plateau Beaubourg et à la création du Centre national d’art et de culture Georges-Pompidou. Dans ces années de préfiguration interviendra une « querelle des donateurs » opposés au transfert d’un ensemble d’œuvres dans le nouveau bâtiment « décoiffant » de Renzo Piano et Richard Rogers. Les tensions iront même jusqu’à mettre en péril l’association, avant de définitivement retomber en 1980.
Pendant toutes ces années, les dons d’œuvres se poursuivent, tandis que les Amis soutiennent aussi les activités du Centre, comme la préparation de l’exposition « Magiciens de la terre », qui deviendra mythique. En 2002 est créé le Projet pour l’art contemporain (PAC) centré sur la scène actuelle, réunissant un petit nombre de membres s’engageant à verser 5 000 euros par an et travaillant en lien étroit avec les conservateurs. La première œuvre acquise par ce biais est une grande installation d’Ernesto Neto.
C’est justement à partir de cette époque que l’association connaîtra un formidable coup d’accélérateur dans sa structure et ses actions. En 2003, pour marquer son centenaire est organisé le premier dîner de gala de la Société des Amis du musée national d’Art moderne au sein même des salles de l’institution, face aux œuvres de la collection. Cet événement bénéficiera d’un véritable engouement, rassemblant actuellement chaque année plus de 900 convives. Chacune de ces soirées permet, avec les fonds réunis, de financer l’acquisition d’œuvres. En 2007, pour s’ouvrir davantage aux jeunes, est créée Perspective, adhésion réservée aux membres de moins de 40 ans. Le Cercle international est quant à lui lancé en 2013, spécialisé dans l’acquisition d’œuvres d’artistes de tous les pays. Il s’enrichit en 2017 de chapitres « Amérique latine », « Europe centrale », « Europe » et « Asie-Pacifique », puis en 2019 de ceux « Afrique » et « Amérique du Nord ». En 2015 est fondé le Groupe d’acquisition pour la photographie, tandis que le PAC devient en 2016 le Groupe d’acquisition pour l’art contemporain. Enfin, en 2022, est lancé le Groupe d’acquisition pour la scène française des années 1950- 1980. En tout, 18 sections sont aujourd’hui actives. Le design n’est pas en reste, faisant du fonds Memphis du musée le plus important au monde grâce au soutien des Amis. Le 23 avril 2024 a ouvert par ailleurs l’exposition « L’Enfance du design » qui positionne la collection de design pour enfants du Centre Pompidou au premier plan mondial. Au fil des ans, la liste de toutes les acquisitions donne le vertige, témoignage de l’importance de cette philanthropie. Récemment, les Amis ont encore diversifié leurs actions. Un comité « Mission recherche » a été créé à l’initiative d’Hélène Gheysens en 2019, lançant des appels à projets auprès des conservateurs et distribuant des bourses. Des recherches sont également menées pour éclairer les différents comités d’acquisition. Des campagnes de restauration sont de plus soutenues, comme celle portant sur le caoutchouc à laquelle Michelin apporte son expertise et des moyens.
C’est une longue histoire que 120 ans, pour le monde mais aussi pour l’art. « En définitive, je dirais que la mission des Amis n’a pas changé, estime Floriane de Saint Pierre, présidente de la Société des Amis du Centre Pompidou depuis 2020. Au fil des ans, les Amis se sont adaptés à l’époque et aux besoins de l’institution. Nous accompagnons aujourd’hui l’ensemble des départements du musée national d’Art moderne – art contemporain, cabinet de la photographie, design, nouveaux médias et art numérique, arts graphiques, films, Bibliothèque Kandinsky, etc. – et initions de nombreux projets pluriannuels de recherche et d’enrichissement des collections ». Et Anaïs de Senneville, directrice des Amis, de poursuivre : « Il s’agit d’accompagner le musée à la fois dans ses besoins mais aussi dans ses rêves les plus grands. Alors que la musée s’apprête à déménager et que toutes les équipes préparent déjà une réouverture historique, la notion de rêve doit plus que jamais animer nos actions. Nous voulons lui donner les moyens de les réaliser avec ambition et de les partager avec le grand public. » De quoi susciter de nouvelles vocations.