« Je ne suis pas en compétition avec Paris Photo, mais avec Frieze ». C’est ainsi que Kamiar Maleki résume son ambition pour Photo London, dont il a pris la direction en janvier 2023. La foire qui se tient jusqu’à dimanche 19 mai, a selon lui tout pour devenir « la foire artistique la plus importante du Royaume-Uni. » L’ancien directeur de VOLTA et de Contemporary Istanbul mène une importante campagne de séduction auprès des collectionneurs d’art contemporain, moins effrayés à ses yeux par des sommes à 6 chiffres : « pour ce type de collectionneur, 100 000 euros est une somme plutôt basse, alors que ce n’est pas du tout le cas pour un amateur de photographie. C’est pour cela que je voudrais créer un pont entre ces domaines. » Pour ce faire, il entend élargir au maximum les propositions, en invitant des galeries d’art contemporain qui représentent des photographes mais aussi des plasticiens travaillant avec la photographie, tout en continuant de mettre en lumière les pratiques hybrides.
Cette diversité se reflète dans les stands à la Somerset House. Pour sa deuxième année en tant qu’exposante, la galerie new-yorkaise The Empty Circle met en avant des peintures de Claudia Doring Baez inspirées par des chefs-d’œuvre de la photographie : un cliché de Robert Frank ou un autre de Brassaï. En fonction des formats, les prix oscillent entre 3 000 et 14 000 livres sterling pour ces reproductions picturales. Plus original encore, la Galerie Echo 119 présente des bijoux inédits de la créatrice Virginie Blajberg auxquels elle intègre des photographies familiales. Ces broches et pendentifs sont vendus jusqu’à 1 200 livres.
Lors de la journée de preview du 15 mai, les allées résonnaient au son de la langue française : de nombreux expatriés vivant à Londres sont venus acquérir des tirages. Kamiar Maleki aimerait encourager leurs compatriotes à traverser la Manche, que ce soient des collectionneurs privés ou des institutions. La France est à l’honneur cette année à travers une large exposition monographique de l’œuvre de Valérie Belin, lauréate du Photo London Master of Photography 2024, ainsi que par une sélection de calotypes français, présentés par le marchand Robert Hershkowitz, grand nom de la photographie ancienne, dont le stand présente des œuvres allant jusqu’à 70 000 livres, en l’occurrence un tirage sur papier salé de Roger Fenton datant de 1852.
Plusieurs enseignes françaises sont présentes cette année, dont certaines ont été invitées par la foire. C’est le cas des galeries Binome et Magnin-A qui exposent, à travers une collaboration inédite, le projet Being There, pour lequel le photographe Omar Victor Diop s’est inséré dans des photographies de la collection de Lee Shulman (The Anonymous Project), revisitant avec humour l’histoire de l’Amérique ségrégationniste. On souhaite à ce projet le même succès que celui qu’il a rencontré lors de la dernière édition de Paris Photo où plus de 60 tirages avaient été vendus. Leurs prix varient entre 4 200 et 6 000 livres. Valérie Cazin, directrice de Binome, et Philippe Boutté, directeur de Magnin-A, se réjouissent de l’arrivée de Kamiar Maleki. Il apporte à leurs yeux des perspectives stimulantes et relève le niveau de la foire qui a pu parfois se perdre dans une programmation « au tout-venant ».
Cela se ressent notamment dans le secteur principal, dont Kamiar Maleki est en charge pour la première fois. Ces allées affichaient l’an dernier beaucoup de « blockbusters » : photographie animale ou clichés de célébrités. Cette année, les portraits de Davie Bowie sont toujours présents (dont un grand format de Markus Klinko est affiché à 50 000 livres chez In the Gallery) mais ils dialoguent avec des propositions plus pointues. La galerie franco-néerlandaise Bacqueville consacre son stand aux images à mi-chemin entre la photographie et le vitrail de Thomas Devaux, qui mettent en exergue la tension entre séduction et désir régissant notre rapport aux objets de consommation (des œuvres entre 2 200 et 30 000 livres). La Homecoming Gallery vise juste cette année encore en présentant des images d’une grande poésie, des compositions floues aux couleurs magnétiques de la photographe germano-néerlendaise Johnny Mae Hauser, allant de 4 500 à 9 500 livres. Les galeries turques invitées par Kamiar Maleki grâce au soutien de Turkish Bank se démarquent, elles aussi, par des propositions enthousiasmantes. La galerie Nev offre notamment un solo show à une des premières femmes photographes turques, Yıldız Moran (1932-1995), dont les clichés d’une grande finesse, des tirages originaux, sont affichés à 5 000 livres.
Le secteur Discovery réunit lui aussi des propositions de qualité. Notons notamment une série que révèle pour la première fois au public la photographe hongroise Andi Galdi Vinko. Intitulé If you knew it, why didn’t you do something about it ?, ce projet mêlant différentes techniques explore avec poésie la question de l’éco-anxiété et de quelle manière aborder ce sujet avec nos enfants. Les œuvres sont vendues par la galerie Erika Deák entre 650 et 1 500 livres. La galerie d’art contemporain américaine Cierra Britton, première à ne représenter que des femmes de couleur, expose une série de Kennedi Carter qui célèbre la beauté noire et la sororité, à travers des portraits inspirés de l’imagerie pin-up.
Au sein de Discovery et dans les allées du secteur principal, Photo London propose un nouveau format, peut-être inspiré du salon unRepresented, lancé en 2023 par Emilia Genuardi : des stands consacrés à des photographes sans galerie, proposés par des collectionneurs. Les collages du Britannique d’origine iranienne Cyrus Mahboubian, réalisés à partir de Polaroïds, sont ainsi montrés grâce au soutien du collectionneur qatari Mohamed Al Baker.
Côté programmation, la Deutsche Börse Photography Foundation célèbre les 25 ans de sa collection permanente à travers une belle sélection de douze photographes, parmi eux Mohamed Bourouissa, Daniel Jack Lyons, Sabiha Çimen, Vanessa Winship, Sabelo Mlangeni, Philip Montgomery et Marvel Harris. Quelques étages au-dessus, la chaîne hôtelière Belmond propose un dialogue poétique et coloré entre les œuvres de Letizia Le Fur, Rosie Marks et Coco Capitán. Le prix Photo London x Nikon Emerging Photographer of the Year a été quant à lui décerné cette année au photographe britannique Charlie Tallott, représenté par New Dimension, dont le travail explore au prisme de sa famille les conséquences sociales et psychologiques de la désindustrialisation.
Aux premières heures de la foire, seuls les petits formats se vendaient tandis que les œuvres de plus ample envergure étaient surtout réservées. Le week-end devrait éclairer sur la frilosité des collectionneurs.
Photo London, du 16 au 19 mai, Somerset House, Strand, Londres