Leonardo Drew : Ubiquity
Leonardo Drew consacre un temps considérable à user et à corroder les morceaux de bois, de plâtre, de contreplaqué qu’il emploie dans ses œuvres. À ce processus s’attache une double signification, celle de vivre une expérience de la dégradation qui le fait s’identifier au temps (weather) et celle d’un travail de remémoration d’une enfance à Bridgeport (États-Unis), dans une zone d’habitats insalubres et de décharges. Il n’est pas rare qu’il recycle des éléments de travaux anciens, ajoutant ainsi une autre épaisseur de mémoire. L’ubiquité définit assez bien cet artiste qui se considère avant tout comme un abstrait ou un « abstractionniste », mais qui se réfère aussi indirectement dans ses œuvres à une réalité politique et sociale.
Sa nouvelle exposition réunit un ensemble d’œuvres murales faites d’accumulations de pièces de bois noircies et de carrés ou bandes d’éclats de bois ou de plâtre colorés. Ces reliefs ressemblent à des relevés de terrains dans une recherche de textures et de couleur.
En parallèle à ces pièces que l’on pourrait qualifier d’analytiques, Leonardo Drew a réalisé une grande installation in situ. Celle-ci est composée de grands reliefs noirs ponctués de quelques carreaux de couleur et d’une centaine d’éclats de contreplaqués noirs dispersés sur le sol. Les œuvres au mur évoquent les parties d’un puzzle incomplet, les éléments au sol sont la vision d’un chaos. Cette œuvre très précisément construite est l’équivalent d’une peinture gestuelle se projetant dans l’espace mais elle offre aussi la vision d’un paysage entropique qui témoigne de préoccupations autres que strictement formelles.
Du 16 mai au 13 juillet 2024, Galerie Lelong & Co, 13, rue de Téhéran, 75008 Paris
Justin Liam O’Brien : All Sunsets Risen
Justin Liam O’Brien peint ses amis, les met en scène dans des environnements et des univers qui ne sont pas forcément actuels, comme on le remarque à certains choix de décors ou d’objets. Les styles qui l’inspirent sont moins le Quattrocento ou le Maniérisme, comme pourrait le laisser croire certaines poses et paysages, que ce réalisme magique qui réunissait des représentants de la nouvelle objectivité ou de la peinture métaphysique. On pourrait dire qu’il offre une version queeriséedu réalisme magique. C’est particulièrement flagrant dans cette scène de drague homosexuelle sur un toit-terrasse, placée sous la protection de pigeons géants, ou dans ce portrait de photographe torse nu sur fond d’immeubles modernistes encastrés.
Justin Liam O’Brien multiplie les notations discrètes à caractère symbolique, étrange ou drôle. Cette image d’un jeune homme qui nous regarde en tendant vers nous une large bougie dans un verre tient l’équilibre entre le chromo et l’expression franche d’un désir. On remarque que les carreaux gris et blancs de sa chemise se défont en traits de peintures flottants ou fumées légères. Se glissant dans différents mondes et époques de l’art, avec virtuosité et ce qu’il faut de sens parodique, Justin Liam O’Brien accomplit un véritable travail de réécriture tout en parlant de son monde et d’aujourd’hui. Dans un double portrait tendre et idéal sur fond de cité italienne stylisée, flottent discrètement dans le ciel quelques sacs de plastique blanc.
Du 4 mai au 15 juin 2024, Semiose, 44, rue Quincampoix, 75004 Paris
Pilar Albarracín : Alta tensión
Pilar Albarracín a écrit « Welcome » sur deux tableaux. Ce sont deux scènes bordées de rinceaux colorés : un enfant qui de son pied repousse un bélier et une chouette dont les yeux sont menacés par de méchants volatiles. Un autre tableau, plus petit, réunit dans un même écusson le signe de la haute tension, la fleur de lys et la croix de Malte. Cet art aussi décoratif qu’offensif donne le ton, mais le grand sujet est constitué par un ensemble de peintures de la série des Almas robadas (âmes volées). Une partie de ces œuvres est fixée à des portants d’acier afin que l’on puisse en voir les deux faces, une autre partie est simplement accrochée aux murs. Les motifs sont des fleurs largement épanouies, un paon, une carpe, un papillon, ceux que l’on trouve sur les châles de Manille, artisanat traditionnel espagnol dont l’origine remonte à l’Empire à travers ses possessions d’outre-mer.
La technique mise au point par Pilar Albarracín pour ces nouveaux tableaux a valeur de discours. Les motifs ont été peints avant d’être confiés à des brodeuses qui en ont transpercé les contours avec des aiguilles d’acier. Le résultat, ce sont ces œuvres à deux faces, l’une colorée d’où pointent des aiguilles, l’autre qui ne reproduit que le dessin général avec les mêmes aiguilles. D’un côté, on voit plutôt l’image, de l’autre le travail. Dans les deux cas, il y a là comme une violence faite au regard. C’est autant une analyse qu’une mise à plat d’un élément de folklore imprégné de l’histoire coloniale.
Dans un autre registre, Rompimiento de gloria montre des chorizos de velours suspendus au plafond par des cordelettes. Le titre est un terme de peinture baroque qui désigne l’irruption de l’univers spirituel dans une scène terrestre. C’est une affirmation d’existence très charnelle de la part d’une artiste pour qui les chorizos sont sa madeleine de Proust.
Du 27 avril au 1er juin 2024, Galerie Georges-Philippe et Nathalie Vallois, 36, rue de Seine, 75006 Paris
Detanico Lain : Replay
C’est la dixième exposition personnelle d’Angela Detanico et Rafael Lain chez Martine Aboucaya et elle célèbre près de vingt ans de collaboration. C’est moins une rétrospective qu’un florilège. Avec une gamme de moyens restreints et un refus assez manifeste de l’image, ces deux artistes poursuivent recherches, explorations et dérives à travers la littérature, l’astronomie, la géographie, les sciences en général. Leur poétique les fait aborder les textes littéraires en s’inspirant de la science et, inversement, les textes scientifiques comme des domaines d’exploration littéraire.
Horizon de feu (2018) réduit Les Filles du feu à la quinzaine de phrases et autant de pages où figure le mot « horizon ». Pour que ces phrases logiquement situées à différentes hauteurs sur leurs pages respectives fassent une ligne, il a fallu décaler celles-ci sur le mur. C’est une lecture assurément partielle mais très vivante aussi.
Un autre type de lecture est celle que les artistes donnent du traité Des Révolutions des orbes célestes de Copernic (365 Soles, 2016) : 365 pages cadrées par un cercle défilent à un rythme vertigineux. Tout au long de ce défilé, les lettres SOL restent projetées au centre de l’image pour traduire la vision héliocentrique de l’auteur.
D’autres lignes, d’autres mouvements textuels courent sur les murs, mais également la traduction des deux solstices islandais en deux peintures murales de 12 bandes allant du gris au noir. En conclusion de ces jeux de lecture en noir et blanc est présenté dans la petite salle Iris (2019), un livre de pages blanches ouvert en son milieu sur lequel sont projetées tour à tour chacune des couleurs de l’arc-en-ciel.
Du 27 avril au 15 juin 2024, Martine Aboucaya, 5, rue Sainte Anastase, 75003 Paris