Tous les chemins mènent à Rome… Quelque 250 lycéens de la Région Grand Est ont pu vérifier l’adage et découvrir la Ville éternelle lors d’un voyage à l’Académie de France à Rome – Villa Médicis, du 13 au 16 mai 2024, à l’occasion de la troisième édition de la Résidence Pro. Âgés de 15 à 18 ans, en provenance de 12 lycées professionnels, ils suivent une formation dans le secteur des métiers du bâtiment, du génie électrique, du génie thermique et de l’aide à domicile.
Dans le cadre de ce programme pédagogique lancé en 2022, dédié à la valorisation des filières professionnelles et agricoles, ils ont été accueillis par la direction et les médiateurs de la Villa Médicis durant une semaine de résidence comprenant ateliers, rencontres, conférences et visites dans Rome autour de la thématique « L’Habitat de demain : bien vivre ensemble et durablement ».
Pour la majorité d’entre eux, ce « Voyage en Italie » était aussi le premier à l’étranger – l’avventura, au bout de 20 heures de bus… La Région Grand Est, engagée pour trois ans avec la Villa Médicis, apporte son soutien au projet, à l’instar des mécènes : la Fondation BNP Paribas, la Fondation Bettencourt Schueller et Amundi Asset Management. Depuis sa création, le programme a bénéficié à près de 800 lycéens des régions Nouvelle-Aquitaine, Grand Est et Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA). Cette année, la Résidence Pro a accueilli son 1000e lycéen.
« Lorsque j'ai été nommé à la Villa Médicis, mon projet se résumait ainsi : comment faire de cet endroit un lieu plus mobile ? explique Sam Stourdzé, son directeur, à l’initiative de ce programme. Ce n'est pas parce que vous avez 350 ans d'histoire que cela vous donne une acuité contemporaine. Une institution doit constamment se réinventer pour être en phase avec son époque, être utile à sa communauté. Cette mobilité, nous l'avions associée à trois adjectifs : artistique, sociale et internationale. Dans le domaine social, les Résidences Pro ont trouvé leur place. Il nous semble essentiel qu'une institution culturelle du XXIe siècle, qui a une telle force d'attractivité, puisse s'ouvrir au plus grand nombre. Chaque année, elle accueille artistes, auteurs et chercheurs : 16 pensionnaires durant un an et environ 60 résidents, qui séjournent ici entre deux semaines et deux mois. Mais notre problème était de savoir comment nous adresser également à une autre population en lui proposant ce que nous savions faire. Et ce que nous savons faire, ce sont les résidences ; c'est rassembler des communautés. En créant ce nouveau programme, l’objectif était de toucher le plus grand nombre dans une classe d'âge où cette expérience a un réel impact ; la proposer à des jeunes moins susceptibles que d'autres d’aller à Rome avec leur famille. L'adolescence, c'est le moment où un adulte, un professeur, vous prend par la main, vous fait découvrir un livre, une œuvre, un lieu. Cela ne change pas toujours littéralement le cours de votre vie, mais cela ouvre le champ des possibles, crée la possibilité du changement. Et c'est ce que nous essayons de provoquer avec cette résidence. Si nous pouvons élargir leurs horizons, alors nous jouons notre rôle. Les institutions de la République ont des missions de service public. Les institutions culturelles ne sont pas exemptées de ce travail collectif pour mieux vivre ensemble. »
Et d’ajouter : « C’est un projet extrêmement valorisant pour les élèves qui y participent. Les guides, les médiateurs qui les encadrent tout au long de la semaine sont applaudis, comme les professeurs. Les élèves comprennent que s'ils sont là, s'ils ont pu bénéficier de ce programme, qui représente un effort de la région, des professeurs, c'est une opportunité, une chance. La Villa Médicis se met en mode projet, toute l’équipe vit au rythme de la Résidence Pro. Accueillir 300 personnes en même temps pendant une semaine – les lycéens mais aussi leurs professeurs et les représentants de la Région Grand Est engagés dans ce projet –, mettre en place un programme qui leur est dédié, rien qu'en termes de logistique, cela signifie servir 600 repas par jour ! C'est du papier à musique et nous aimons ce défi. Mais nous ne pourrions pas y parvenir seuls. Le projet fonctionne comme une plateforme collaborative ; le rectorat, la région, la Villa Médicis s'unissent pour sa réussite. »
Déployé sur une année scolaire, le programme s’articule en trois temps. Dès la rentrée, élèves et enseignants travaillent à un projet collectif, baptisé « chef-d’œuvre », inspiré du patrimoine culturel romain et appliqué aux métiers de leur filière d’enseignement. Lors de la semaine à Rome, qui marque l’aboutissement de huit mois de recherche et de travail de groupe, ils présentent leurs projets respectifs, exposés dans le Grand Salon de la Villa Médicis. Au retour, une restitution dans leur lycée permettra de partager leur expérience.
Cette année, les élèves du Lycée des métiers du bâtiment et de l’énergie Emmanuel Héré de Laxou (Meurthe-et-Moselle), associant trois filières de bac professionnel (TEBAA – technicien d’études du bâtiment, option assistant en architecture ; TBORGO – technicien du bâtiment, organisation et réalisation de gros œuvre ; ICCER – installateur en chauffage, climatisation et énergies renouvelables) ont présenté un « Îlot de fraîcheur » en réfléchissant à « comment offrir, à l’heure du réchauffement climatique, aux habitants des villes surchauffées un lieu de convivialité où se rafraîchir durant les périodes de canicule ». Autre exemple, les élèves du Lycée des métiers de l’efficacité énergétique, du bâtiment et des travaux publics François Arago de Reims (Marne) ont présenté leur projet intitulé « Le Forum-Continuum Rémois », modélisation en 3D résultant de recherches historiques sur le cryptoportique romain et le rôle du Forum dans la société romaine. Lors de leur visite de la Galleria Borghese, les élèves du Lycée La Tournelle à Pont-Saint-Vincent (Meurthe-et-Moselle) en bac Pro MCAD (mention complémentaire Aide à domicile) ont, quant à eux, pu admirer les toiles du Caravage et les marbres du Bernin, notamment le groupe sculptural Énée, Anchise et Ascagne (1618-1619), d’après une scène décrite dans L'Énéide de Virgile. Un thème sur lequel ils ont travaillé en amont – la place de la famille et des personnes âgées dans la Rome antique – en écho à leur formation dans le secteur de l’aide à la personne.
Lors de cette semaine sur les hauteurs du Pincio, plusieurs rencontres se sont déroulées avec des artistes. La vidéaste et réalisatrice Mali Arun, qui écrit le scénario de son premier long-métrage de fiction dans le cadre de sa résidence à la Villa Médicis, confiait lors d’un échange avec les élèves de ce cru 2024 : « J’ai été comme vous, jeune étudiante à Colmar, en Alsace, après avoir grandi dans la vallée de Munster. C’était compliqué sur le plan familial, je n’étais pas très bonne à l’école. Je devais faire un CAP cuisine. Finalement, j’ai pu étudier le cinéma au lycée. Nous sommes même allés au Festival de Cannes ! Lorsque nous avons travaillé sur le film Sans Soleil de Chris Marker, cela a été un choc. Les premières graines ont été plantées là, il m'accompagne depuis cette époque. Avant, j'étais incapable de parler de cinéma, je ne savais pas du tout où j'allais. Après mon bac, j’ai travaillé sur des tournages comme régisseuse ou chauffeur de Stomy Bugsy et Béatrice Dalle ! J’ai suivi un cursus à L'École nationale supérieure des arts visuels de La Cambre à Bruxelles, en Belgique, et à l’École nationale supérieure des Beaux-Arts de Paris, je suis partie en Chine… Mais j'étais très loin d'imaginer que j'allais un jour arriver là, devenir artiste, exposer, être pensionnaire à la Villa Médicis… Rien n’est écrit, il n’y a pas de déterminisme, tout est possible si vous le voulez ; il suffit d’une rencontre, d’un déclic. Ne vous limitez pas, vous avez votre avenir entre vos mains. »
« Le savoir n’est pas fait pour être gardé, il doit être transmis, témoignait, de son côté, l’auteur-compositeur sénégalais et griot mandingue Ablaye Cissoko. Dans ma tradition, cela consiste à aller vers les autres. Il est important de pouvoir rencontrer des personnes, leur montrer ce qui peut avoir un impact dans leur vie. J’ai la chance de découvrir d’autres cultures, et en parlant de mon parcours, de mon histoire, j’apprends aussi des autres, cela m’enrichit. C’est un éternel échange. Nous devons préserver ce qui nous a été laissé pour le faire apprécier, admirer. Rencontrer des jeunes, leur parler, me rappelle ce que disait un grand artiste, il y a quelques années : " J’étais là, il y a vingt ans, à votre place ". Nous pouvons transmettre notre expérience aux plus jeunes, leur léguer quelque chose qui va les forger. C’est toujours un grand plaisir de rencontrer des gens qui ne connaissent pas ma culture, en espérant qu’ils ont entendu ou compris. Parler, c’est difficile ; écouter, encore plus difficile ; comprendre plus encore. À la Villa Médicis, on ressent des choses, on sent les esprits. Être ici est un grand honneur. Le temps passé entre ces murs ne peut qu’imprimer sa marque. » Dans les jardins qui ont vu déambuler la fine fleur des artistes et écrivains, le virtuose de la kora donna un concert très apprécié, installé devant le Carré des Niobides, la fontaine réalisée à partir de moulages antiques par Balthus, alors directeur de l’institution.
L’année prochaine, le programme Résidence Pro montera en puissance pour accueillir non pas 300, mais 900 personnes de trois régions durant trois semaines, en flux continu. Un nouveau programme sera lancé en décembre, inspiré du même principe, avec la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). La Villa Médicis accueillera 20 jeunes de la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA). « Ils sont, depuis leurs plus jeunes années, dans des spirales infernales où tout est un échec, l'école, le milieu familial… précise Sam Stourdzé. Ils doivent faire face à la justice. Les éducateurs nous disent que ce type de résidence d'une semaine dans un lieu d'exception comme la Villa Médicis, c'est comme un électrochoc. C’est ce qu’il faut pour pouvoir inverser une courbe à un moment donné et saisir une opportunité. C'est ce que l'on voit dans les projets sportifs ou les projets de bateaux avec croisières – un changement d’environnement qui peut avoir un impact. Nous souhaitons également pouvoir travailler avec des jeunes de la même tranche d’âge, mais lorsqu’ils sont en situation de déscolarisation, dans la continuité de ce que nous avons mis en place. » Et de conclure : « Jusqu'à présent, on parlait de voie professionnelle moins reconnue que la voie généraliste. Ces jeunes des lycées professionnels, je les aime beaucoup. Ils sont curieux, enthousiastes d'être là ; et j'avoue qu'à chaque fois que j'ai des discussions avec eux, j'aurais du mal à faire la différence entre un jeune homme ou une jeune femme de lycée professionnel et de filière généraliste. On se rend compte que nous avons toute une série d'a priori. Ce sont souvent des jeunes qui ont des idées très claires sur ce qu'ils veulent faire demain, et quand ils ne sont pas là par hasard – et souvent, ils ne le sont pas –, leur choix pour l'avenir sera extrêmement rapide et efficace. »