Le mardi 4 juin 2024 s’est tenue au Louvre une cérémonie de restitution de deux œuvres spoliées par le régime nazi durant la Seconde Guerre mondiale. Les ayants droit de la propriétaire des tableaux, Mathilde Javal, ont décidé de faire don au musée de ces œuvres classées MNR (« Musées Nationaux Récupération ») qui avaient été confiées à la garde des musées nationaux en attendant leur restitution aux ayants droit des victimes des persécutions antisémites. Cette restitution-donation est aussi l’occasion d’honorer la mémoire de la famille Javal, en particulier d’Alice Javal, d’Adolphe Javal et de son épouse Mathilde, née Heilbronner, ainsi que de leurs deux filles Sabine et Isabelle, tous déportés et assassinés dans le camp d’extermination d’Auschwitz (Pologne).
Les tableaux sont deux natures mortes du XVIIe siècle, la première d’un représentant de l’École germanique, la seconde peinte par un artiste du Siècle d’or hollandais. Elles représentent, pour l’œuvre de Peter Binoit, un riche repas de volaille et des fruits ; pour celle de Floris van Schooten, une scène dévoilant du jambon, du fromage et des récipients en faïence, métal, grès ou verre.
« On estime à 100 000, chiffre très certainement sous-évalué, le nombre d’œuvres d’art et d’objets d’arts spoliés et emportés durant la Seconde Guerre mondiale depuis la France, explique David Zivie, responsable de la mission de recherche et de restitution des biens culturels spoliés entre 1933 et 1945. Ce sont 60 000 objets qui ont été retrouvés en Allemagne à la fin de la guerre et renvoyés vers la France. Parmi eux, 45 000 sont restituées entre 1945 et 1950 grâce à un important travail administratif. Mais en 1950, on considère qu’il est temps de tourner la page, et si les objets n’ont pas été réclamés, l’administration décide de les vendre. Mais avant de vendre les 15 000 œuvres qui restent, 2 000 à 2 200 ont été sélectionnées en priorité sur différents critères, et mises de côté en se disant qu’elles pourront encore être restituables pendant quelque temps. Ce sont ces œuvres qui deviennent les œuvres MNR, qui ne sont pas entrées dans les collections au sens propre ».
Et de poursuivre : « Finalement, nous sommes restés sur ce régime provisoire jusqu’à aujourd’hui. Il ne s’est pas passé grand-chose pendant 40 ans et les quelque 13 000 œuvres ont été vendues parmi lesquelles il y avait très certainement des pièces spoliées. Depuis les années 1990-1995, en France et dans le monde entier, la question des œuvres spoliées a ressurgi et a déclenché de nouvelles recherches. Nous nous sommes remis à restituer les œuvres MNR (depuis 1994, il y a eu 188 restitutions de MNR ou équivalent), l’essentiel, une centaine, sur les quinze dernières années. Il y a donc une accélération du processus de restitution. Parmi cette centaine, ce sont pour plus de la moitié des œuvres qui ont été restituées à l’initiative de l’État et des musées. L’on attend les demandes des familles mais nous prenons aussi les devants, comme c’est le cas pour la famille Javal, parce que le ministère de la Culture est allé rechercher les ayants droit ». Et de conclure : « Par ailleurs, nous nous intéressons aussi maintenant aux œuvres rentrées dans les collections, donc les œuvres achetées, reçues en don ou en legs, souvent acquises sans se préoccuper de la provenance. Nous commençons des recherches pour identifier les pièces afin de les restituer, grâce à une loi votée l’année dernière. » Aujourd’hui, 1 750 œuvres MNR restent sans propriétaire.
Retrouver les ayants droit des deux toiles données au Louvre a été le fruit d’un long travail mené par le ministère de la Culture mais aussi par les Généalogistes de France, qui « ont souhaité apporter leur concours aux pouvoirs publics et identifier les ayants droit dans six dossiers à travers une convention de mécénat de compétence signée en 2015, explique son président, Cédric Dolain. Parmi ces dossiers se trouvait celui de la famille Javal. Nous avons retrouvé une cinquantaine d’ayants droit, et retissé le lien qui avait été cassé par l’histoire et la géographie ».
Une exposition est organisée par le musée du Louvre du 5 juin 2024 au 6 janvier 2025, dans l’aile Richelieu (dans la salle 831 au 2 e étage), retraçant l’histoire de la famille Javal et présentant les œuvres spoliées. « Nous avons la volonté de préserver la mémoire de la spoliation, qui est l’un des aspects de la Shoah », résume Sébastien Allard, directeur du département des peintures du Louvre.