Thomas Struth : Nature & Politics
Depuis 2019, Thomas Struth est venu à de nombreuses reprises photographier les locaux du CERN à la frontière franco-suisse. L’insistance avec laquelle il travaille sur ces espaces démesurés peuplés d’équipements et vides de figures peut se comparer à celle du peintre devant un même motif. Les compositions de ce nouvel ensemble offrent des points de vue larges sur des zones de travail. Illisibles à des yeux non formés, elles donnent la vision de grands paysages métalliques dans lequel se glissent quelques rares touches de couleurs. Pour renforcer l’effet d’immersion, une des photos a été suspendue par des câbles devant les portes-fenêtres donnant sur la cour.
Comme une série dans la série, sont également montrées des photos de bacs à encombrants du CERN. Prise en surplomb, cadrées au bord des bacs d’acier, elles sont objectives et extrêmement plastiques. Ces petits riens rejetés par le monstre technologique donnent à méditer sur des déchets autrement plus menaçants.
Parallèlement, est montrée une autre série consacrée au monde animalier. Depuis 2016, Thomas Struth photographie les animaux confiés pour autopsie à l’Institut Leibniz de Berlin, spécialisé dans la recherche sur la faune sauvage et de zoo. Les sujets décédés de mort naturelle sont saisis en vue plongeante et plein cadre. Deux images de petit format apportent un éclairage sur le travail. Il s’agit d’un cerveau sur un fond de couleur et de la tête d’un tigre duquel le photographe s’est approché pour saisir le regard.
Du 25 mai au 26 juillet 2024, Galerie Marian Goodman, 79, rue du Temple, 75003 Paris
Ilana Savdie : Ectopia
Originaire de Colombie, Ilana Savdie relie ses tableaux à la performance et dit trouver leur inspiration dans les fêtes carnavalesques de Barranquilla. La figure clé de ces célébrations est le Marimonda, une créature tenant de l’éléphant et du singe et qui symbolise les grands propriétaires. Savdie voit dans les costumes et les couleurs du carnaval de Barranquilla une proximité avec la culture queer. Par un léger glissement, elle fait de ce monstre social un acteur de la perversion des identités et le moyen de tourner en dérision le concept de binarité.
Les images de carnaval avant d’entrer dans les compositions ont connu bien des transformations et ont été visiblement travaillées à l’ordinateur. Au sein des arabesques, des tourbillons, des spirales, l’on distingue parfois une tête grotesque, un membre humain, une ossature. C’est un univers de science-fiction, exubérant dont nous entrevoyons des fragments aux contours nets, sur fond de grands aplats ou de grands dégradés de couleurs.
L’artiste emploie tour à tour l’huile, l’acrylique et l’encaustique, avec de subtils rapports de tons. Il faut imaginer la rencontre du Rosenquist le plus abstrait et de Frankenthaler (à laquelle Savdie a été comparée à ses débuts). Sur le plan de la matérialité, c’est comme le contact d’une peau craquelée avec un foulard de soie. Il entre dans cette « Ectopia » un mélange insidieux de séduction et de perturbation.
Du 31 mai au 27 juillet 2024, White Cube, 10 avenue Matignon, 75008 Paris
Raphaël Zarka : Tautochrone
Avec l’installation prochaine de la Cycloïde Piazza devant le Centre Pompidou à Paris et la récente inauguration de La Doublure à Trélazé (Maine-et-Loire), Raphaël Zarka s’offre deux belles incursions dans l’espace public. Sa nouvelle exposition à la Galerie Mitterrand renvoie à cette double actualité et présente également une série de peintures abstraites, lesBois Gnomoniques.
Le Second cénotaphe d’Archimède (2012) est constitué de deux cheminées torses en briques de terre cuite inspirées de celles de l’époque Tudor qu’on voit encore en Angleterre. Tant l’inspiration que le titre nous rappellent le projet de cénotaphe conçu par Étienne-Louis Boullée en hommage à Newton. Dans l’un et l’autre cas, un génie de la science se voit honoré par un monument évocateur de son univers. Pour le cénotaphe contemporain, c’est le motif de la vis sans fin que l’artiste retrouve dans la cheminée en spirale. Mais si l’architecte des Lumières rêvait d’une architecture parlante, Zarka s’applique à faire parler une architecture existante. C’est ce principe qu’il reprend et renouvelle dans La Doublure.
Dans le travail de Zarka, les considérations sur l’espace public et sur la pratique du skate, évoqués par la maquette-sculpture Cycloïde Square, s’accompagnent d’une reprise et d’une lecture de constructions utopiques. Les Bois Gnomiques, inspirés de motifs figurant sur de très anciens socles de cadrans solaires, évoquent les compositions constructivistes de Rodtchenko et de ses compagnons, et produisent un autre entrechoquement de temporalités.
Du 23 mai au 27 juillet 2024, Galerie Mitterrand, 79, rue du Temple, 75003 Paris
Joana Hadjithomas & Khalil Joreige : Comme le jour se fait lorsque la nuit s’en va
Joana Hadjithomas et Khalil Joreige avaient, il y a quelques années, entrepris une série de photographies sur des relevés de terrains pratiqués par des archéologues. Le 4 août 2020, toutes les photos ont été détruites dans l’explosion du port de Beyrouth. Sur le conseil d’Etel Adnan, ils ont entrepris de reconstruire ou reconstituer les images perdues sous la forme de tapisseries. Ces tapisseries quasi abstraites aux surprenantes textures sont emblématiques d’une œuvre travaillée par les images absentes et les mémoires occultées. Elles témoignent d’une idée de l’art comme forme de résilience et, comme l’écrit Taddeo Reinhardt, de résistance.
« Comme le jour se fait lorsque la nuit s’en va » est une exposition polyphonique portée par des voix contenues. Au long de l’escalier qui nous conduit aux différentes salles est disposée une série de photo-portraits cadrées à hauteur des yeux (ceux-ci très rarement ouverts) mises en rapport avec la représentation visuelle de l’onde sonore d’un soupir. Un haut-parleur diffuse les soupirs dans la cage d’escalier et au-delà. Sommes-nous capables de les entendre à défaut de les comprendre ?
My Head is still singing est la projection de citations philosophiques et poétiques sur des écrans faits de couches de verre brisé. C’est l’affirmation des pouvoirs du langage dans une situation de fragilité extrême.
Le parcours de l’exposition se conclut par un film, Sarcophage aux amours ivres, tourné dans le Musée national de Beyrouth. Les salles sont plongées dans le noir, faute d’électricité, et les visiteurs regardent les objets à la lumière de leurs smartphones. Ainsi, ils inventent un spectacle d’ombres en déambulant dans l’histoire.
Du 28 avril au 20 juillet 2024, In Situ-fabienne leclerc, 43, rue de la Commune, 93230 Romainville