Gelsy Verna : Nostalgia Will Happen Later
Née à Port-Au-Prince, ayant grandi au Congo puis au Canada, avant de s’installer aux États-Unis, Gelsy Verna (1961-2008) aura au cours de sa brève existence pu faire l’expérience de la question raciale dans des contextes très divers. Grâce à l’initiative et à l’engagement de Loeve&Co, nous découvrons cette artiste à travers un ensemble de dessins, collages et tableaux. Tout à fait à l’heure sur les questions d’identité et sur les problématiques postcoloniales, Gelsy Verna semble œuvrer sur le bord, entre une introspection et une sorte d’activisme. Jamais chez elle le souci de la forme ne prend l’avantage sur l’immédiateté du propos.
Le demi-masque du comploteur dont elle s’affuble dans un de ses collages symbolise bien sa façon de s’emparer des stéréotypes pour en faire des signes d’identité. Dans un dessin, elle rapporte des propos de racisme ordinaire sur la bouche d’une noire rigolote de cartoon, sur un tableau elle peint une simple brosse à récurer avec le mot « Black » écrit dessus. L’artiste s’est prise à un moment d’un intérêt passionné pour la figure de Martin Luther King. Dans une série de dessins, elle l’a déguisé en différents personnages, Black Panther ou Mickey, avec un mélange d’insolence et d’admiration. L’enjeu était de le rendre plus actuel, plus vivant. Dans un tableau, elle laisse voir le haut de son visage dans un cercle abrité par ce qui ressemble à la chevelure du leader pacifiste. Sous les déguisements semble pointer la question de la responsabilité et de l’engagement. On ne perçoit qu’une partie de l’histoire de Gelsy Verna à travers cette première exposition française, mais elle est bouleversante.
Du 23 mai au 13 juillet 2024, Lœve&Co, 15 rue des Beaux-Arts, 75006 Paris
Dr Esther Mahlangu : The Order of Things
Esther Mahlangu occupe aujourd’hui une position artistique unique. La tradition de la peinture murale Ndebele, qu’elle a su renouveler et faire connaître, était à l’origine une affirmation d’identité culturelle et un acte de résistance contre la colonisation puis contre l’apartheid.
Esther Mahlangu a su s’inspirer des stratégies de l’art contemporain, dans celle d’un Keith Haring en particulier, et multiplier les interventions sur des supports et dans des contextes variés. La décision prise un jour de transposer ses célèbres compositions symétriques à base de triangles, de chevrons, de losange, sur la toile pour créer des tableaux a eu pour effet de nous amener à réfléchir plus profondément à l’histoire de l’abstraction.
« The Order of Things » présente un choix de tableaux parfaitement autonomes et qui peuvent se mesurer à l’abstraction hard-edge. Mais leur réunion ouvre l’espace et l’électrise. Ils concentrent cette énergie portée par les habitations. Avec eux, quelque chose de neuf se construit.
« The Order of Things » présente un choix de tableaux parfaitement autonomes et qui peuvent se mesurer à l’abstraction hard-edge. Mais leur réunion ouvre l’espace et l’électrise. Ils concentrent cette énergie portée ailleurs par les habitations. Avec eux, quelque chose de neuf se construit.
Du 7 juin au 20 juillet 2024, Almine Rech, 64 rue de Turenne, 75003 Paris
Alain Bublex : Landscaping
La nouvelle exposition d’Alain Bublex nous entraîne dans un univers de demi-réalité à travers photos, peintures, film et objets. Le film Paysage 20 minutes est un travelling automobile sur une route américaine qui trouve son accomplissement dans la vision d’un coucher de soleil. C’est un road movie dont les personnages auraient disparu. Dans la salle obscure, on trouve des tableaux de paysages américains qui ajoutent une épaisseur au voyage.
Trois grandes photos sont présentées sur un même mur, un champ, un homme qui marche dans un quartier d’immeubles, une vue de zone périurbaine décentrée. Les trois photos ont été basculées d’une vingtaine de degrés comme après une secousse. Sur le mur adjacent, une photo de route enneigée est présentée retournée. Ces quatre belles photos questionnent la notion de paysage sur le modèle de la découverte de l’abstraction. Les photos accidentelles, par leur ratage touchant, viennent en contrepoint.
Pour s’écarter un peu des paysages et y repenser aussi sans doute, on a construit un espace de repos et de consultation, mi-réel, mi-virtuel. Les photographies d’une plante grasse et d’une chaise sous tous leurs angles ont été imprimées sur les faces de parallélépipèdes à leurs dimensions. Sur une étagère à côté, on peut consulter des copies de magazines refaits et réédités par l’artiste qui a substitué ses images à celles d’origine et remplacé le texte par d’épaisses lignes de couleur. On trouve aussi deux livres factices, non consultables, consacrés à Albert Marquet, qui ajoutent une ultime touche de mélancolie à l’ensemble.
Du 7 juin au 20 juillet 2024, Galerie Georges-Philippe et Nathalie Vallois, 36 rue de Seine, 75006 Paris
Rebecca Watson Horn : The Secret Life of Vowels
Nourrie par la poésie d’avant-garde et par les grands écrits spirituels, Rebecca Watson Horn a pris pour sujets de ses peintures les consonnes. Les tableaux qu’elle expose portent le nom générique de Sigil, signe cabalistique ou sceau. On dit qu’une des façons de composer des sigils était d’extraire les voyelles d’un mot.
L’artiste peint ses lettres en cursive majuscule, les étirant pour la plupart, et les laisse flotter comme de libres traits ou bien s’en sert comme de bordures pour délimiter une zone de couleur. Elle emploie différentes toiles de jute à la trame plus ou moins serrée sur lesquelles la peinture peine à se fixer. Ce travail avec la matière prolonge celui de destruction des mots. Sans que l’on sache si le texte secret dicte en partie le choix des couleurs et le climat général de la composition, chaque tableau manifeste une singularité. Rebecca Watson Horn peut aussi bien travailler sur les seules nuances d’un vert qu’assembler des traits d’écritures vifs et des lettres pleines comme des figures biomorphes sur un fond orangé ou bleu nuit. Passe le souvenir de Miró et celui de peintres de l’Informel.
Avec les Sémaphores, l’artiste s’avance du tableau vers l’espace de la performance et de la parole. Ce sont de grands rideaux de jute translucides suspendus dans l’espace qui ne portent que le seul tracé des consonnes. Les mots secrets sont lâchés en liberté.
Du 31 mai au 20 juillet 2024, Emanuela Campoli, 4 – 6 rue de Braque, 75003 Paris