La Grèce est en plein essor. Elle est ouverte. Elle est stable. Et elle témoigne de preuves d’amour à nombre d’artistes new-yorkais. Dans l’ancien Odéon d’Hérode Atticus, juste en dessous du Parthénon à Athènes, une Marina Abramovic très royale est entrée sur scène sous des applaudissements nourris. Lors de sa présentation du groupe de folk Anonhi and the Johnsons, elle a comparé avantageusement la chanteuse trans à Maria Callas, qui s’était produite en son temps dans le même amphithéâtre lors d’une édition de ce Festival d’Athènes Épidaure (AEF). Mais Anonhi n’avait pas besoin d’être présentée à ce public. Les spectateurs connaissent sa musique. Après un final époustouflant qui a semblé faire léviter le Parthénon rougeoyant, ils ont applaudi à tout rompre.
Ailleurs à Athènes, l’accueil réservé aux premières expositions en Grèce de Cindy Sherman et de Dana Schutz a été tout aussi chaleureux. Le parcours conçu par la curatrice Aphrodite Gonou au musée d’art cycladique, dont elle est la conseillère pour le programme d’art contemporain, comprend l’ensemble des images de la série Untitled (Film Stills) (1977-1980), jalon dans la carrière de Cindy Sherman. Il établit des parallèles stimulants et uniques avec les statues de marbre conservées dans ce musée. De son côté, Dana Schutz est l’invitée de la George Economou Collection installée dans un immeuble situé au nord d’Athènes. Sa directrice, Skarlet Smatana, y propose « The Island » (jusqu’en mars 2025), un ensemble choisi de ses peintures et fusains de 2000 à 2023. « J’y ai vu mes peintures comme je ne les avais jamais vues auparavant », a déclaré l’artiste à propos de cet accrochage.
Il est rassurant de voir la Grèce accueillir des artistes américains à une époque où le repli identitaire et la politique agressive de leur pays d’origine menacent les libres-penseurs. Peut-être les artistes sont-ils vraiment les meilleurs ambassadeurs. Ils semblent en tout cas particulièrement appréciés sur l’île d’Hydra. Lors de son exposition pop-up au Melina Merkouri Art & Concert Hall, soutenue par la galerie Eva Presenhuber et l’Hydra School Projects de Dimitrios Antonitsis, Tschabalala Self a attiré des foules impatientes de découvrir The Bigger Picture.
Cette vidéo sur trois écrans (présentée jusqu’au 2 juillet) revisite, plutôt qu’elle ne documente, Sounding Board, la pièce de théâtre musicale (avec une bande-son signée de Boney M) à laquelle elle a contribué à la Biennale Performa en 2021. Tschabalala Self a écrit, mis en scène et peint les décors. Elle a également conçu les costumes de ce drame tourbillonnant sur les dilemmes moraux, sexuels et sociaux de couples romantiques, et a confié à deux acteurs deux rôles chacun, en y ajoutant un chœur grec de chanteuses.
Heureux hasard, le motif en damier des carreaux de marbre du hall – un espace communautaire situé en bordure du port, autrefois utilisé pour mettre les immigrants en quarantaine – fait écho aux vêtements et au mobilier conçus par l’artiste. Et ce qui a subjugué les yeux et les oreilles lors de la mise en scène de la pièce dans un parc de Harlem se retrouve totalement dans sa nouvelle itération hypnotique. « J’aime que la pièce devienne une peinture dans cette nouvelle version, confit-elle. La peinture consiste à juxtaposer deux couleurs et à voir comment l’une transforme l’autre. C’est ce que fait cette vidéo. »
La couleur – très vive – est également au centre de « George Condo : The Mad and the Lonely » (jusqu’au 31 octobre), l’exposition présentée cette année dans le Slaughterhouse Project Space de la Deste Foundation à Hydra. L’ancien abattoir en pierre est assez petit, ses murs sont fissurés et souillés par les années et, bien sûr, par le sang des animaux. Condo ne l’avait jamais visité auparavant. De plus, il n’avait pas présenté d’exposition de ce type auparavant.
Au « cubisme psychologique » maximaliste de ses portraits loufoques, anciens et modernes, Condo a ajouté le minimalisme de Donald Judd et l’a présenté dans des chromatismes très clairs. « Judd n’aurait jamais mis de tableaux dans ses boîtes et il ne les aurait jamais peints dans ces couleurs », note-t-il. « Dakis est une source d’inspiration », a ajouté l’artiste en évoquant Dakis Joannou, le fondateur de Deste. À quoi le collectionneur a répliqué : « Attendez de voir la piste de danse ! ».
L’artiste a, en 2008, intitulé une sculpture The Triumph of Insanity [Le triomphe de la folie]. La figure en bronze oxydé d’une femme agonisante, sans jambes, avec une tête de gargouille sur l’épaule, réapparaît ici, accrochée à des poteaux comme une relique archéologique conservée et reflétée dans la piste de danse en PVC à la Carl Andre.
La « moquette » chatoyante reprend également les couleurs des boîtes carrées peu profondes de 76 centimètres de côté dans lesquelles Condo a placé ses peintures. Ces dernières sont des copies de toiles peintes dans les années 1980 et 1990 et qu’il avait gardées, mais elles sont cette fois-ci réalisées dans une taille légèrement plus grande qu’une carte postale souvenir et plus petite qu’un carnet de croquis. Dans des camaïeux de céruléen, rose vif, jaune cadmium, rouge fraise, vert petit pois et mandarine, elles atteignent une nouvelle lisibilité, franchement stupéfiante.
« C’est Ellsworth Kelly qui a mal tourné, plaisante George Condo, avant de reprendre son sérieux. Les Grecs anciens utilisaient la polychromie dans leurs sculptures. C’est mon interprétation. Cela n’a rien à voir avec la mythologie grecque. Je crée ma propre mythologie. Le monde étant en proie à la souffrance, nous devons apporter un peu de bonheur ». Qui pourrait le contester ?
« Cindy Sherman at Cycladic : Early Works », du 30 mai au 4 novembre 2024, Musée d’art cycladique, Stathatos Mansion, Vasilissis Sofias ave. & 1, Irodotou str., Athènes, Grèce.
« Dana Schutz : The Island », du 16 juin 2024 à mars 2025, The George Economou Collection, 80, Kifissias Ave., Marousi, Athènes, Grèce.
« Tschabalala Self : The Bigger Picture », du 19 juin au 2 juillet 2024, Melina Merkouri Art & Concert Hall, Hydra, Grèce.
« George Condo : The Mad And The Lonely », du 18 juin 2024 au 31 octobre 2024, Deste Foundation Project Space, Slaughterhouse, Hydra, Grèce.