Située à Saumur, dans le cadre préservé des bords de Loire, la maison Bouvet Ladubay associe le plaisir du vin à l’art contemporain. Depuis plus de trente ans, des œuvres de Jean-Michel Basquiat, Bernar Venet, François Morellet, Cécile Bart ou bien de Claude Viallat ont été exposées dans son centre d’art. Ce dernier a été l’un des premiers lieux privés destiné au public dans le grand ouest. Chaque été, un artiste est invité par Benoit Lemercier, son directeur artistique, pour une exposition personnelle. Cette année, ce dernier s’est adressé à Christian Sorg (né en 1943, représenté par la galerie Dutko à Paris) pour prendre possession des lieux avec une exposition réunissant un ensemble de tableaux, monotypes sur toile et dessins.
Quarante œuvres donnent corps aux différents aspects du travail pictural de l’artiste effectué entre 1989 et 2024 et dès l’entrée, au sein de ces espaces blancs, semblant comme immaculés, le regard est happé par de grandes toiles où s’épanchent des concentrations colorées, vouées à l’évocation abstraite du paysage et des impressions qu’il génère. La présence de verts printaniers et de roses laiteux fait alors signe vers une voie végétale dont l’artiste saisit miraculeusement l’élan. Los prados, une suite de dix tableaux réalisés entre 2022 et 2023, est ainsi exposée pour la première fois dans son ensemble. La matière picturale y est exaltée, l’artiste jouant souverainement d’une mobilité frémissante et tactile sur des fonds semblants comme modulés en transparence. Son geste est mesuré, déployé en traits libres et maîtrisés où la couleur se répand en ondoiements souples. Pareille puissance expressive laisse également libre cours aux soubresauts de lumière, fulgurances incarnant de manière inédite la matière des sensations. Car dans les peintures de Christian Sorg, la reproduction, au lieu d’engendrer du vraisemblable, est gage d’imprégnation et d’atmosphère, comme s’il était question de prolonger les effets du vécu. Sans que sa pratique artistique ne soit impressionniste, elle se fonde néanmoins sur l’entrelacement d’une observation et d’associations plus subtiles forgées autour du ressenti et de l’expérience physiquement éprouvée.
L’œil ressent ainsi les heures du jour tout comme leurs variations d’intensité, l’artiste retranscrivant le passage de la lumière à l’obscurité. L’espace pictural se mue en champs de vision et, avec une musicalité certaine, la peinture de Christian Sorg cristallise un rythme où viennent s’articuler l’éphémère et la durée, le mouvement et l’immobilité. L’usage des oil sticks – des bâtons de peinture à huile – permet de laisser libre cours à la danse de la main. Aimantés par le toucher, des traits intenses, fins ou épais, instruisent un flux fertile en constant devenir où, moins contraintes, les formes se développent au travers de courbes et volutes : Christian Sorg restitue l’éphémère éclat de la vie et sa peinture, tout comme ses dessins, tient alors beaucoup de l’écriture et de la calligraphie.
L’artiste puise son inspiration dans son environnement immédiat en Espagne, au sud de l’Aragon, ou en France, dans la région de Vézelay et dans les ateliers de Fontenille. Dans cette présence au monde qu’il ne cesse de restituer, le peintre se confronte également aux maîtres du passé. Tu que no puedes, un tableau de 1989 aux lignes sombres et tourmentées, fait ainsi référence à l’œuvre de Goya. Transparaissant de l’obscurité, des toiles évoquent les visites de l’artiste dans les grottes d’Arcy-sur-Cure et de Chauvet, et la découverte des peintures pariétales du Levant, dans la péninsule ibérique, à El Cogul. Tout comme dans une saisissante représentation de Taureau (2001), le traitement de la figure animale traverse ici des territoires flous, fugitifs, comme tremblés, mêlant la trace mémorielle et la persévérance de l’élan vital. Dans cet équilibre instable où le chaos se risque à l’harmonie, il est possible de déceler le souvenir d’un mouvement passé, réactivé dans le présent de la peinture.
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« Christian Sorg - Peindre pour dire le monde », du 1er juin au 29 septembre 2024, Centre d’art contemporain Bouvet Ladubay, 26 rue Jean Ackerman, 49400 Saumur