Comment réactiver l’idée de cette synthèse des arts que défendait jadis l’architecte et sculpteur André Bloc (1896-1966) ? Afin d’esquisser des réponses à cette interrogation, la galeriste parisienne Natalie Seroussi, propriétaire de la Villa André-Bloc, à Meudon, invite déjà, depuis 2008, des artistes à venir réaliser in situ des œuvres « en dialogue » avec les deux « sculptures-habitacles » qu’André Bloc y a érigé dans les années 1960. Cette année, avec son fils, Julien Seroussi, elle a imaginé une nouvelle incarnation de ce questionnement : « J’habite cette maison depuis 36 ans et c’est le lieu en son entier – demeure, jardin, sculptures – qui est inspirant, explique Natalie Seroussi. André Bloc était un "passeur" et c’est ce que je voudrais être également. Nous avons pensé qu’une"Résidence de conversation" cadrait bien avec son esprit de transmission ». D’où ce programme en cours d’élaboration, dont la première salve a eu lieu le samedi 8 juin 2024.
L’espace de cette « Conversation inaugurale » était tout trouvé : la nouvelle serre construite l’an passé au point le plus haut du jardin, sous les frondaisons. Les invités itou, puisqu’il s’agit des auteurs du projet, Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal, récipiendaires du Pritzker Prize 2021. Galeristes et architectes étaient, pour l’occasion, entourés de deux enseignants de l’École nationale supérieure d’architecture de Paris-Malaquais, Yves Bélorgey et Sarah Bitter. Enfin, le public était constitué d’étudiants en 2e année de ladite institution.
Les propos, dont certains sont ici retranscrits, ont notamment (et évidemment) porté sur les relations entre « art et architecture ». « Le site est à la fois complexe et inspirant. Il était, pour André Bloc, un laboratoire grandeur nature dans lequel il se posait moult questions :"L’architecture devient-elle sculpture ou est-ce l’inverse ? Est-ce que la sculpture, c’est voir et l’architecture vivre/habiter ?" Ces interrogations nous intéressent, souligne Jean-Philippe Vassal. Par ailleurs, il existe, ici, une étonnante relation à l’intériorité. Dans ce paysage que l’on aperçoit depuis la maison, on vient fabriquer un certain nombre d’objets qui ont à voir avec la sculpture et, maintenant, notre projet. Ce ne sont aucunement des entités séparées, car le jardin les relie. Nous l’avons ressenti d’emblée : où que l’on soit, on est toujours "à l’intérieur"… de la maison, de la sculpture-habitacle, du jardin, de la serre. En réalité, c’est une maison qui fait 6 000 m2 ».
La frontière intérieur/extérieur s’en trouve, de fait, brouillée. A fortiori, avec la serre en verre. Yves Bélorgey, qui y a séjourné et peint un tableau, a trouvé les mots justes : « On est entouré d’arbres. Ils sont les murs ». La serre prend place à l’emplacement exact d’un ancien pavillon de jardin dévasté par la tempête : « Nous sommes dans un endroit caché du jardin, précise Anne Lacaton. L’idée était de conserver le socle existant parce qu’il fait partie d’un ensemble, et d’y apporter une notion de légèreté ». D’où une serre : « Un objet standard que l’on place habituellement dans les champs pour cultiver les légumes et les fleurs. Nous l’utilisons depuis nos débuts, indique Jean-Philippe Vassal. Nous l’avons utilisé pour construire la Maison Latapie, à Floirac, en 1993. D’ailleurs, on allait jadis tous les ans au Salon interprofessionnel des fruits et légumes d’Agen pour comprendre comment les systèmes horticoles contrôlent le climat. Dans nos projets, la serre est un objet de complémentarité : parfois au-dessus, parfois accolé… Ici, à Meudon, c’est un objet-standard à 95 %. Il sert à repousser au maximum les limites de la maison et dialogue avec le jardin et le climat. »
Une serre néanmoins luxueuse, car, outre une cuisine ouverte, elle dissimule au sein d’une élégante « boîte » de bois oblongue deux chambres et une salle de bains, et arbore un toit ouvrant connecté à une station météorologique. « Cette serre répond aussi à un manque de la maison Bloc : celui d’un espace plus intime, avoue Julien Seroussi. Dans la maison, tous les espaces sont ouverts et obligent à avoir en permanence un rythme commun. Désormais, on peut se retirer dans la serre et vivre à son propre rythme. »
« Il est très difficile aujourd’hui, en architecture, de parler de "dimension sensible", regrette Anne Lacaton. Il faut être tellement "conforme" (à nombre de réglementations, NDLR), qu’il est difficile de la faire exister. Aujourd’hui, le premier mot qui vient à la bouche est "Process". Or, un projet pour nous, avant de passer à la technique, est d’abord une enquête sensible. Être sensible n’est aucunement un manque de consistance et agir ainsi est une résistance. D’ailleurs, il n’y a pas à séparer le concret et le sensible. L’architecture, c’est mélanger les deux ingrédients, travailler avec les contraires, comme économie et générosité. C’est inséparable ! »
Par-delà la toiture transparente de la serre, le regard plonge directement dans le ciel.« Aujourd’hui, le temps file si vite, estime Natalie Seroussi. Amorcer une conversation, c’est prendre le temps. La conversation devient alors œuvre d’art. »
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La prochaine « Conversation » a pour thème le travail de Constantin Brancusi. Rens. : natalieseroussi.com