Les liens créés par l’amitié, mais également la relation intime à un lieu, ou les connexions sensibles au réel sont au cœur du travail de Lola Gonzàlez, artiste née en 1985 à Angoulême. Pour sa première exposition personnelle en Nouvelle-Aquitaine, sa région natale, celle qui fut pensionnaire à la Villa Médicis à Rome en 2018-2019 célèbre le territoire qui l’a vu grandir et tous ceux qui ont nourri son cheminement artistique. Intitulée « Efxaristo Poli », soit la traduction de « merci beaucoup » en grec, cette présentation monographique traverse treize années de créations vidéo où les moments de partage, qu’ils soient mis en scène ou spontanés, s’épanchent dans des récits tout aussi énigmatiques que familiers.
L’espace central qui accueille la première section témoigne de ce fait : les projections qui s’y déroulent mêlent danse et performance, toutes habitées par la gestuelle des corps et leur étrange intensité. Le paysage est omniprésent, la catastrophe semble planer et Lola Gonzàlez paraît alors ausculter la psychogéographie d’un territoire traumatisé. Poussés par un désir qui se mue en urgence, des danseurs arpentent la ville d’Athènes tandis que, plus loin, la chute d’un homme sur une plage témoigne d’une verticalité entravée. Tonnerres (2022), film tourné après le passage de la tempête Alex dans la vallée de la Roya à la frontière entre la France et l’Italie, lors de la résidence de l’artiste à la Villa Arson à Nice, possède cette qualité onirique qui place la production de l’artiste à la lisière du fantastique. Des jeunes gens se déplacent étrangement et, du sommet de la montagne sauvage, suivent le cours du torrent pour descendre vers la ville où ils dansent jusqu’à l’épuisement. Leur transe cultive l’ambiguïté et ne laisse rien transparaître quant à l’imploration désirée, invoquer l’orage ou bien le faire cesser…
La vidéo Les Anges (2017), réalisée au cours d’une résidence à Los Angeles, apparaît en contrepoint. Ici, deux hommes traversent la ville dans un mouvement ascensionnel, rampant mains au sol comme échaudés par le soleil, errant au fil d’une métropole bruyante et accablée avant qu’ils ne rencontrent celui qui va leur apprendre à se redresser. Ensemble et réunis, ils font face aux effets dévastateurs des grands feux de la Californie, se dirigeant vers les hauteurs et leurs terres calcinées où une communauté les attend.
Dans cette relation sensible tissée avec le vivant, rendue prégnante par la force de la nature, le paysage relie l’homme aux éléments, à ce qui le dépasse, à ce qui est plus grand. La peur de l’inconnu se transcende ainsi par le pouvoir du collectif, mais également par des postures à valeurs de rituels, dont la vocation cathartique semble nourrie par des connaissances ancestrales. Les mots font défaut et dans ce langage corporel puissamment instinctif qui se passe de l’expression orale, la musique a toute sa place.
À l’étage supérieur, la parole se retrouve et donne lieu à des échanges authentiques qui relèvent, par-delà l’incompréhension, de la condition humaine. Dans plusieurs vidéos, les protagonistes – proches, familles, amis de Lola Gonzàlez – ne cessent de parler dans des langues qui, appartenant à chacun d’entre eux, ne sont nullement reconnaissables. Le spectateur, incapable de vérifier la coïncidence entre ce qu’il lit et ce qu’il entend, s’en remet entièrement aux sous-titres écrits par l’artiste. Si pareille dissonance narrative renvoie à la littérature latino-américaine dont Lola Gonzàlez s’imprègne depuis sa jeunesse, son récent film choral Mouradia (2023), improvisé en langue inventée, fait directement référence à L’Ambassade du cinéaste Chris Marker (1973). Tournée dans le village de Lisle en Dordogne où elle s’est établie, la vidéo met en scène son entourage dans ce qui semblerait être un refuge alors que le monde est en proie au chaos. Irene Aristizábal, nouvelle directrice du FRAC Poitou-Charentes et commissaire de l’exposition, précise ainsi que « Lola Gonzàlez n’aborde pas le territoire comme une seule entité géographique, mais bel et bien par les liens émotionnels, spirituels et politiques qu’il tisse avec les êtres qui l’habitent. » Et de film en film, l’intime et le collectif rentrent en résonance avec les lieux devenus personnages à part entière, comme seuls le sont les territoires sensibles.
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« Lola Gonzàlez, Efxaristo poli », du 28 juin au 3 novembre 2024, FRAC Poitou-Charentes, 63 boulevard Besson Bey, 16000 Angoulême