Certains artistes surréalistes ou contemporains effacent le visage, le remplacent par des collages, des têtes d’animaux ou encore une forme indéterminée. Ewa Juszkiewicz, à l’affiche du Palazzo Cavanis, elle, a décidé de mettre à leur place un entrelacement de chevelure et d’étoffes soyeuses et colorées parfois agrémentés de fleurs ou de feuillage étincelant. Cette démarche singulière la distingue notamment d’un Arcimboldo qui, lui, cherchait à la Renaissance à suggérer les visages à partir de fruits et de légumes.
Organisée par la Fundación Almine y Bernard Ruiz-Picasso, l’exposition fait partie des événements collatéraux de la Biennale de Venise 2024. Son cadre, un authentique palais vénitien, ainsi que le paysage unique de la Sérénissime elle-même, siéent à ces peintures qui empruntent explicitement aux plus beaux portraits féminins de l’histoire de l’art depuis la Renaissance jusqu’au XIXe siècle. L’artiste polonaise titulaire d’un doctorat de l’Akademia Sztuk Pieknych de Cracovie a en effet puisé parmi des œuvres muséales signées François Gérard, Joseph van Lerius, Élisabeth Vigée-Le Brun… « J’ai recherché des œuvres qui idéalisent la femme, son visage et son sourire. Au XVIIIe siècle, elles étaient souvent représentées d’une même façon, passive », explique Ewa Juszkiewicz. Et de poursuivre : « J’ai changé le format ou la couleur des peintures qui m’ont servi de modèles, et ajouté parfois des bijoux, ou modifié le vêtement. Peindre des modèles masculins ne m’intéressait pas car ils sont souvent représentés de façon laudative, au sommet de leur carrière ».
Représentée depuis 2019 par la galerie Almine Rech, l’artiste « a travaillé en pensant à Marie-Antoinette, qui déjà mettait des fleurs dans sa coiffure », souligne le commissaire de l’exposition, Guillermo Solana. Elle combine ainsi deux genres classiques un peu figés et distincts, la nature morte et le portrait, auxquels elle insuffle une nouvelle vie, un nouveau regard… Un zeste d’humour surréaliste n’est par ailleurs pas absent des toiles, servies par une technique à l’huile impeccable.
« J’ai voulu apporter de la vitalité, à l’opposé du portrait originel. La plupart des portraits féminins du XVIIIe siècle sont statiques. Ici, il y a une dynamique et la vitalité des fruits qui saute aux yeux », précise l’artiste. Celle-ci espère que ces œuvres « répondront à des problématiques comme l’image de la femme et sa représentation à l’heure des réseaux sociaux ». L’une des œuvres qui tranche avec les autres exposées montre une silhouette totalement emmaillotée dans un tissu écarlate, peinture énigmatique et troublante confinant à la disparition du sujet…
Au final, l’accrochage consacre l’étonnante rencontre entre des modèles et un style hautement classiques et un propos féministe visant à déconstruire certains schémas de représentations de la femme dans l’histoire de l’art. Une exposition certes entêtée, mais en rien échevelée.
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« Ewa Juszkiewicz : Locks With Leaves And Swelling Buds », jusqu’au 1er septembre 2024, Palazzo Cavanis, Fondamenta Zattere Ai Gesuati 920, Venise.