C’est une première européenne que propose la Fondation Martell, à Cognac, avec cette vaste exposition centrée sur un artiste américain étonnamment passé sous les radars de ce côté-ci de l’Atlantique : James Blain Blunk (1926-2002), dit « JB Blunk ».
Réunissant quelque 150 œuvres – dessin, peinture, sculpture, céramique, bijou, mobilier, photographie et film –, cette rétrospective intitulée « JB Blunk - Continuum » se déploie en six sections : Japon, La Maison, Paysage, Archétypes, Processus (sous-entendu : « de création »), et Art dans l’espace public.
La scénographie, élégante, conçue par le designer italien Martino Gamper, semble faite de matières nobles, or elles sont en grande partie recyclées. L’effet est bluffant. L’idée était de reproduire un tant soit peu l’atmosphère de la maison-atelier que l’artiste a édifiée, en 1962, à Inverness, au Nord de San Francisco (États-Unis), de ses propres mains et uniquement à partir de matériaux récupérés. D’où, ces cimaises de bois sombre, façon éloge de l’ombre.
Pas étonnant, donc, si le parcours fait la part belle à cette demeure, dont la simplicité évoque autant celle des pionniers américains que l’esthétique nippone. En témoignent moult clichés, objets et meubles parfois anthropomorphes – exemple : Mariah’s Chair –, sans oublier un film réalisé in situ, cette année, juste avant le déménagement des pièces pour l’exposition.
Dans une vitrine, une sélection de livres appuie le propos, dont un désopilant Guide to the Woodbutcher’s Art-Handmade Houses. Ailleurs, une photographie affiche l’imposante sculpture en séquoia et en forme d’arche étroite (Entry Arch) qui accueille le visiteur à l’entrée de la propriété, passage obligé, tant physique que symbolique, pour accéder à cette « œuvre d’art totale » qu’augure le lieu.
C’est alors qu’il est étudiant à l’Université de Californie à Los Angeles (UCLA), dans les années 1940, que Blunk a une révélation en découvrant les œuvres du céramiste japonais Shoji Hamada. Mobilisé pendant la guerre de Corée, il profite de ses permissions pour aller au Japon, y rencontre le sculpteur Isamu Noguchi avec lequel il se lie d’amitié – on peut lire, ici, des lettres échangées entre les deux artistes –, puis s’y installera même, pendant trois ans, pour se former à la céramique avec les réputés potiers du quartier d’Imen à Bizen, dont Toyo Kaneshige – plusieurs clichés le montrent en compagnie de Blunk –, avant de revenir sur sa terre natale à la fin des années 1950. Le visiteur devinera aisément une influence nippone dans cette série de céramiques – bol, pichet, vase… – disposées sur une table oblongue.
Dans son antre à flanc de montagne et face à l’océan, JB Blunk, et ce sera le fil conducteur de son œuvre, prône une relation intense avec la nature, dont le spectacle, grandiose, le rend sensible à l’infiniment grand comme à l’infiniment petit. Aussi use-t-il des ressources qu’il trouve à portée de main, à commencer par… diverses essences.
Rapidement, l’homme devient un as de la tronçonneuse – ne pas manquer l’extrait de ce film intitulé With These Hands : The Rebirth of The American Crafstman [« Avec ces mains : la renaissance de l’artisan américain »], datant de 1970 et montrant Blunk en pleine action. Sa méthode est limpide : il laisse tout simplement les caractéristiques naturelles de chaque tronc – anneau, nœud, pli, courbe ou racine – guider ses gestes et déterminer ses découpes, à l’instar de ce tabouret trivialement baptisé… Penis Stool.
Outre le Japon, Blunk s’inspire aussi de ses voyages au Mexique et au Pérou, en Indonésie ou en… Bretagne, à Carnac, pour générer des formes souvent archétypales, sinon archaïques, mixant figuration et abstraction, profane et sacré. Ainsi en est-il de cette sculpture puissante intitulée Self-Piercing Element.
Quatre décennies durant, Blunk va explorer à l’envi les matériaux – outre le bois, l’argile, la pierre ou l’os – et jongler indistinctement entre genre – œuvre d’art ou objet usuel – et échelle : du bijou, qu’il appelle « sculpture portable », jusqu’à l’espace public.
Dans l’ultime section, une carte des États-Unis pointe la vingtaine de lieux ayant fait l’objet d’une commande publique, dont une majorité au nord de la Californie. Souvent conçues à partir d’un seul bloc de séquoia, ses sculptures praticables et collectives sont pensées comme des « installations relationnelles », à l’instar de la plus connue d’entre elles, créée, en 1969, pour l’Oakland Museum of California : la monumentale The Planet.
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« JB Blunk - Continuum », jusqu’au 29 décembre 2024, Fondation Martell, 16, avenue Paul-Firino-Martell, 16100 Cognac