Les Guerlain à Issoudun ? En réalité, le dévoilement d’un nouveau pan de leur collection privée de dessins contemporains dans cette paisible ville de l’Indre s’explique par un concours de circonstances et de connexions. En 2021, Florence et Daniel Guerlain offrent une sculpture de Marta Pan pour les nouveaux jardins paysagés et ponctués de sculptures du musée de l’Hospice Saint-Roch, sur une suggestion du commissaire d’exposition Philippe Bouchet. Les œuvres sur papier sont déjà l’un des axes de ce musée, avec en particulier des ensembles de Fred Deux ou d’Henri Michaux. Le couple de collectionneurs et de mécènes, à l’origine du prix de dessin contemporain de leur fondation d’art lancé en 2007, et d’une généreuse donation de plus de 1 200 dessins au musée national d’art moderne, s’est laissé convaincre de montrer pour la première fois une partie des œuvres qu’ils ont réunies depuis la donation au Centre Pompidou.
Quelque 300 feuilles ont été chapitrées par Philippe Bouchet en cinq sections – techniques du dessin, le corps, le portrait, le paysage et enfin cabinet d’art graphique. Il n’est guère aisé, il est vrai, de faire entrer dans des cases cette collection si variée, bâtie par coups de cœur successifs, en duo, avec une exigence et une rigueur tempérées par la passion. Cet ensemble est le fruit de « leur dialogue ininterrompu, leur insatiable curiosité, leur liberté de choix, leur capacité à s’affranchir du goût ambiant, leurs regards conjugués jamais en repos, leur énergie et leur opiniâtreté, leur irrépressible désir de transmettre et leur irrépressible besoin de vivre entouré d’œuvres », souligne Philippe Bouchet.
Une collection, c’est avant tout une question personnelle, intime, une connivence avec un artiste ou une œuvre. L’une des judicieuses idées de l’accrochage est d’accompagner au mur une partie des dessins d’une citation de Florence ou de Daniel Guerlain qui commentent à l’unisson les liens ou les anecdotes qui les unissent à une œuvre. La série sur les torses de 2011 de David Webster, par exemple, leur évoque des souvenirs remontant à 1986 : l’Américain les a entraînés dans des galeries new-yorkaises et leur a « ouvert les portes » de collectionneurs qu’ils voient toujours, écrivent-ils. Il les a aussi aidés à monter l’exposition de leurs dessins à New York en 2008 dans les locaux des services culturels de l’ambassade de France aux États-Unis. Comme nous l’explique par ailleurs le couple, découvrir les collections américaines a été l’un des déclencheurs à l’envie de constituer à leur tour une collection internationale… et de la montrer. Quant à Michael Landy, qui représente en 2013 un saint atteint d’une multitude de flèches, incarnation de « multiples martyres », le couple de mécènes rappelle la trajectoire incroyable de cet artiste britannique qui a un jour décidé de détruire toute sa production et de repartir à zéro… Ulla von Brandenburg les a marqués par « la douceur avec laquelle elle s’exprime », et la dimension « chorégraphique ou livresque » de son travail. Lauréat du Prix de dessin 2021 de la Fondation d’art contemporain Daniel et Florence Guerlain, Marcel van Eeden, apprécié pour son univers « de joie et de tristesse », disent-ils, est ici représenté par une grande aquarelle de 2012 sur laquelle on peut lire : « Le Rêve ». Tout un programme.
Dans cet imposant ensemble où l’on croise du beau monde, Marcella Barceló, Shirley Jaffe, Martha Jungwirth, Kiki Smith, Françoise Pétrovitch, Giuseppe Penone, Jockum Nordström, Omar Ba, Gert & Uwe Tobias, Prune Nourry, Jérôme Zonder, Philippe Cognée, Cathryn Boch ou Dove Allouche, pour n’en citer que quelques-uns, le visiteur navigue parfois aux frontières du dessin, avec les aquarelles et polyéthylène de Loris Cecchini. Ou sur les territoires pleins d’humour des miniatures à l’encre sur papier du Russe Ivan Yazykov, à regarder longuement de très près. C’est finalement devant un mur consacré à une dizaine de dessins de la regrettée Etel Adnan, accompagnés d’une pièce de sa compagne Simone Fattal, que les collectionneurs finissent par poser. Un choix féminin au milieu d’un panthéon très personnel mais en définitive devenu universel.
« La passion du dessin. La collection privée de Florence et Daniel Guerlain », jusqu’au 22 septembre 2022, musée de l’Hospice Saint-Roch, rue de l’Hospice Saint-Roch, 36100 Issoudun, www.museeissoudun.tv