David Reed : Whirlpool
Grande figure de la peinture américaine, David Reed ne cesse depuis une cinquantaine d’années d’inventer de nouvelles manières de construire un tableau. Il use d’un répertoire de formes extrêmement restreint, essentiellement un large coup de brosse qu’il démultiplie dans des constructions all-over. Avec ce geste générique, il développe à l’infini des variations sur la couleur et la lumière. En modelant avec la teinte plutôt qu’avec les valeurs, Reed dit s’inspirer des maîtres italiens et d’Andrea del Sarto en particulier. Dans la façon dont il modèle et dilue tout à la fois, on ne saurait affirmer si le processus qui s’étale sous nos yeux est d’affirmation ou d’effacement. Cette peinture qui, superficiellement regardée, semble ne parler que d’elle-même se construit sur de multiples références très éloignées de ce médium. L’artiste échafaude chacune de ses œuvres à partir de nombreux dessins et notes et le processus s’étend parfois sur des années.
Les onze tableaux récents exposés à Paris sont dans un format horizontal qui rappelle l’écran 16:9. Dans chacun, on observe des effets de cache et de bandes filtrantes colorées qu’on dirait inspirés de manipulations Photoshop. Le plus étonnant est ce tableau exceptionnellement long (66 x 276,9 cm), bien proche de la frise. Le fond turquoise, divisé en quatre panneaux égaux par des lignes verticales rouges, est parcouru de larges touches jaunes qui donnent un rythme et le teintent d’émeraude. Sur le deuxième panneau à partir de la gauche, on voit une vaste déchirure qui fait apparaître un fond blanc strié de coup de brosse d’un bleu changeant et fluide. À la surface de cette déchirure flotte une large touche serpentine jaune et rouge qui est comme la restauration numérique d’une brushstroke de Roy Lichtenstein. C’est aussi cinématographique que pictural.
Du 6 septembre au 26 octobre 2024, Galerie Nathalie Obadia, 91 rue du Faubourg Saint-Honoré, 75008 Paris
Leidy Churchman : Inner Dialogue
Inner Dialogue est un grand tableau de Leidy Churchman d’un genre indéfinissable. Il est composé de plans géométriques colorés et modelés, d’une vue de mer et d’une autre de montagne. Un grand oiseau bleu exotique et une vulve y trouvent même leur place, tandis que des mots désignant des réalités visibles ou des abstractions sont distribués un peu partout. C’est l’union du diagramme, de l’abstraction, du paysagisme et du surréel. À défaut d’être une somme ou un manifeste, ce tableau offre une bonne introduction à l’univers de Churchman. Cellui-ci, fortement marqué par l’enseignement du bouddhisme tibétain, peint des œuvres inspirées de figurations traditionnelles de cet univers ainsi que les représentations qu’iel se fait de certaines de ses notions clés. Mais iel peint aussi des images de son quotidien, sa vision d’une réalité dédoublée, chargée de magie. Le logo de Mastercard et la figure de la girafe y font des apparitions récurrentes.
À côté de peintures du Bouddha directement inspirées de l’art tibétain, on trouve l’effigie de celui-ci au milieu d’objets divers, de coquillages et d’une boule de cristal. Dans nombre de tableaux, Leidy Churchman répand des points de couleur correspondant aux tigles, ou gouttes d’énergie. Dans The Inner Paradise, la faune se réduit aux girafes et celles-ci naissent dans des fleurs de lotus. Au sein de ce qui ressemble bien à un parcours spirituel,on rencontre de petits tableaux et même de minuscules qui ressemblent à des prises de notes. Y alternent observation, inventions, citations d’œuvres d’autres artistes, épiphanies. Nommant Marsden Hartley au rang de ceux qui l’ont influencé, Leidy Churchman trace une voie entre le conceptuel et le spirituel.
Du 7 septembre au 5 octobre 2024, Galerie Chantal Crousel, 10, rue Charlot, 75003 Paris
Laura Gozlan : Now You’re inside me
Laura Gozlan a créé le personnage de Mum (qui, en anglais, fait entendre mère et momie) qu’elle incarne, sorte de vampire b du féminin-monstrueux. Dans ce nouveau film, Mum fait la rencontre d’une jeune Faust échappée d’une rave party. Mum, ancienne vedette de la scène décavée, demande à cette jeune arrogante d’ingurgiter son âme, sans que l’on sache quel profit elle escompte de ce pacte faustien inversé. C’est l’occasion d’échanges chargés d’électricité et d’humour qui croisent le théâtre d’avant-garde et le cinéma bis avec des références de haute tenue (Le Baphomet de Pierre Klossowski en particulier). Laura Gozlan joue cette fois un peu en retrait et permet à sa partenaire, Giulia Terminio, de se livrer à une étourdissante performance. Dans ce monde souterrain, l’âme a l’apparence de Casper le gentil fantôme et l’on extrait un diamant (métamorphose de l’âme ou cristallisation d’un souffle ?) de l’anus de Faust.
Le tournage a eu lieu dans l’Aisne, à l’intérieur d’anciennes carrières souterraines exploitées dès le Moyen-Âge et qui servirent d’abri aux soldats de la grande guerre. Pareil décor en impose. Laura Gozlan réinvente les sérials de vampire en relisant les codes de l’underground et ceux des films de Mario Bava ou de Jess Franco. Une deuxième exposition consacrée au travail sculptural de Laura Gozlan suivra celle-ci.
Du 7 septembre au 21 septembre 2024, Galerie Valeria Cetraro, 16, rue Caffarelli, 75003 Paris
Ranti Bam : How do we hold our stories?
Ranti Bam, artiste britannico-nigériane, travaille essentiellement l’argile qu’elle considère comme « un matériau vivant qui lie tous les êtres à la terre ». Les sculptures qu’elle range sous le titre générique d’Ifa sont de larges cylindres creux et fermés à l’une de leurs extrémités, qu’elle presse contre son corps pour leur donner forme. En yoruba, « ifá » signifie divination et « I-fàá » se rapprocher. Les Ifas, ces figures pliées, tordues se présentent couchés ou en équilibre sur le sol ou sur un tabouret traditionnel. Éclairant cette approche animiste, une vidéo nous montre l’artiste assise au milieu d’une forêt sacrée, cachée derrière un large cylindre en maille d’argile qu’elle étreint, ne laissant voir que ses bras et ses jambes. C’est un plan fixe, très court, diffusé en une boucle parfaite. Pour Ranti Bam, esprit et corps s’unissent à travers cette matière faite de terre et d’eau. Le caractère aléatoire et processuel hérité des années 1970 ouvre sur une autre vision, reflet de la double culture de l’artiste.
Une autre série d’œuvres a pour titre Abstract Vessels. Celles-ci ressemblent plus ou moins à des vases en équilibre sur leur base arrondie. L’argile y a été travaillée par bandes, bandes pressées contre des tissus afin de leur imprimer une texture, puis peintes et gravés. Les bandes ont ensuite été réunies pour former ces vessels. Seul l’intérieur des A.V. a été verni, y ajoutant une part d’étrangeté et enrichissant leur caractère symbolique. Faisant le lien entre les deux séries d’œuvres, un Hybrid Ifa vertical, entre vase et robe fourreau, laisse échapper d’un intérieur turquoise deux fragments d’une dentelle d’argile azurée.
Du 6 septembre au 12 octobre 2024, Andréhn-Schiptjenko, 56 rue Chapon, 75003 Paris