Pauline Bastard : Bonne journée
Bonne journée, le nouveau film de Pauline Bastard, et l’exposition homonyme, sont nés d’un atelier que l’artiste a développé quatre années durant au sein d’une structure d’insertion pour l’emploi. Tourné dans un magasin Emmaüs à la périphérie de Grenoble, c’est une succession de plans fixes, quasiment sans paroles, qui décrivent un processus de travail. Des individus plutôt jeunes font le tri d’objets déposés à Emmaüs. Ils en retiennent certains qu’ils photographient sur un tissu ou un rideau avec un Minolta de même provenance. Avec les vêtements et les accessoires qu’ils trouvent, ils se mettent en scène en prenant alternativement la place du mannequin ou celle du photographe. Certaines des photos ont été encadrées et sont exposées dans de petits caissons lumineux faits maison, et une sélection d’entre elles a donné lieu à une publication dans le style des magazines de mode ou de marketing de luxe. D’un point de vue de cinéma, on dirait que le film documente un travail. D’un point de vue art contemporain, on dirait que les objets exposés sont les restes de la performance. Les choses sont mêlées, puisque l’exposition a déjà commencé dans le film. Dans la dernière partie de celui-ci, on voit les photos encadrées présentées parmi les objets en vente, et des séquences diffusées sur les téléviseurs ou écrans d’ordinateurs, tandis que des clients consultent les exemplaires de la publication mis à leur disposition. C’est véritablement une entreprise commune sans aucun effet de surplomb de la part de la réalisatrice. Les photos tiennent un délicat équilibre entre l’imitation du glamour et le style documentaire. Cette sorte de fable sur le recyclage engage aussi une réflexion sur la manière dont on peut se saisir des choses par le regard.
Du 6 septembre au 26 octobre 2024, 22,48 m2, 29 rue de la Commune de Paris, 93230 Romainville
Rinus van de Velde
Rinus van de Velde expose des huiles sur papier de différents formats, de très grands dessins au fusain sur toile, tous longuement légendés à même le support. Cette apparente inversion des techniques et ce renversement de leur hiérarchie nous disent que cet artiste narrateur est obnubilé par la peinture. Dans les œuvres sur papier présentées en large nombre et en un accrochage serré, il s’adresse à quantité d’artistes qu’il admire, vivants ou disparus, et s’inspire de leur univers ou de leur style. Cela tient de la carte postale géante et du journal en images. Les artistes destinataires qu’il tutoie sont très majoritairement, mais pas exclusivement, des peintres de paysage. La question du travail en plein air est en tout cas le thème directeur de l’exposition. Un film raconte la journée d’un peintre (joué par un ami qui porte le masque de Van de Velde) qui littéralement s’aventure hors de l’atelier. Ce conte est si proche de la réalité qu’un élément de décor du film, un palmier factice, est posé au milieu de la salle. Cette autobiographie fictive s’écrit aussi dans les grands dessins au fusain, reflets de la passion de l’artiste pour le cinéma de genre et pour l’histoire de la peinture occidentale. Tel un héros de film noir, il se présente au milieu d’une forêt, convaincu, écrit-il, d’être suivi par d’autres peintres prêts à s’emparer avant lui de la meilleure source d’inspiration. Tel le Narcisse du Caravage, il se perd dans la contemplation de son reflet, tout en se promettant de revenir « au vrai sujet » et « de rendre honneur à la réalité » par sa peinture. L’introspection de l’artiste se joue à la façon d’un voyage, d’un scénario légèrement névrotique, et drôle bien évidemment.
Du 7 septembre au 5 octobre 2024, Galerie Max Hetzler, 46 & 57 rue du Temple, 75004 Paris
Niklas Taleb : hippie
La première photo que l’on voit en entrant, c’est celle d’une enfant de deux ou trois ans qui nous regarde. Elle est allongée sur une petite table devant un sofa. Il s’agit vraisemblablement de la fille de Niklas Taleb, une photo de famille donc, mais le choix du cadre et le format plutôt grand lui donnent des allures de tableau de genre. En s’approchant, on remarque que la photo est divisée en trois bandes horizontales et chacune d’elles protégée par une bande de verre. Les bandes de verre sont raccordées entre elles par de minces morceaux d’adhésif transparent. L’artiste encadre lui-même ses photographies et ce principe de division de l’image est récurrent. Ce caractère faussement amateur a pour effet d’opérer des recadrages à l’intérieur de l’image et de suggérer une construction polyptyque.
Niklas Taleb est connu pour être un photographe du quotidien, capable de raconter des histoires par le biais des rapprochements d’images de natures diverses. Il ne craint pas de tirer en grand un visage d’enfant rendu monstrueux parce que photographié de trop près. Avec cette image, il rappelle les usages quotidiens de la photo et met en question le divertissement. Il y a aussi une photographie de mouches marchant sur l’arête d’une vitre, celle d’un champ vu d’avion, et celle encore d’un terrain d’exercice en ville où le point de fixation est le revers du filet de basket. L’art de Taleb ne consiste pas seulement à opérer des rapprochements surprenants mais aussi à suggérer à travers ses photographies différentes manières d’être présent au monde.
Du 7 septembre au 2 novembre 2024, Galerie Édouard Montassut, 61 rue du Faubourg Poissonnière, 75009 Paris
Alan Sonfist : Songes Telluriques
Alan Sonfist n’a pas 20 ans quand il propose en 1965 aux politiques de New York de créer un Time Landscape, soit un morceau de forêt surgissant dans Greenwich Village et composés d’essences datant de l’époque précoloniale. Outre les Time Landscapes, Sonfist n’a cessé depuis, à travers différents médiums, d’interroger l’histoire des villes et des campagnes, et d’édifier des monuments gigantesques ou modestes à la nature. La pièce maîtresse de l’exposition parisienne est un Earth Monument de la fin des années 1960. Il s’agit de 9 cylindres de pierres d’environ un mètre, 9 carottages réalisés en autant de points à Manhattan le long d’un axe Nord-Sud et alignés à mi-hauteur sur un mur. Cassées ou interrompues, ces colonnes sont une façon directe et sobre de prendre, si l’on peut dire, le contre-pied du land art.
On retrouve cette approche minimaliste dans une série de dessins sur toile reproduisant des relevés de grandes secousses sismiques. Ces œuvres sont pour l’artiste une manière d’honorer les grands phénomènes historiques de la terre de la même façon que l’on dresse des monuments aux batailles. Sonfist n’est pas seulement un défenseur de l’environnement, il éprouve une véritable passion pour la nature qu’il associe de toutes les manières à ses créations. Il s’est même attaché à renouveler la peinture de plein air comme en témoigne un de ses tableaux fait de pigments et de feuilles d’arbre apportées par le vent sur la toile.
Du 7 septembre au 9 octobre 2024, Galerie Devals, 24, rue de Montpensier, 75001 Paris