Après le premier jour de vernissage, mercredi, fréquenté par une foule très importante incluant la reine de Jordanie ou les collectionneurs américains Don et Mera Rubell, et énormément de groupes de musées internationaux, le deuxième jour a été un peu plus calme, certains amateurs revenant pour profiter de ce contexte plus propice pour apprécier les œuvres. Des méga galeries, telle Hauser & Wirth, avaient réaccroché leur stand. Ainsi le Malevitch, «on hold» (réservé), avait-il été remplacé par un grand format de Rita Ackermann de 2024. Réaccrocher ne signifie pas toujours que tout est vendu, mais que le public du 2e jour a des goûts et des moyens différents…
Les attentes étaient élevées après une édition de Frieze London meilleure que prévu, qui a enregistré des résultats solides la semaine dernière malgré les guerres en Ukraine et au Moyen-Orient, une économie chinoise déprimée, l’agitation politique aux États-Unis à l’approche de l’élection présidentielle et, plus près de nous, les conséquences du Brexit. La France est également confrontée à ses propres défis économiques et politiques avec un nouveau gouvernement de coalition de centre-droit, bien qu’il ait été peu question de politique intérieure au Grand Palais, où 195 galeries de 42 pays présentent des œuvres d’une valeur totale de plusieurs centaines de millions d’euros.
Alors que Frieze a été pensée comme une foire plutôt avant-gardiste, Art Basel a toujours servi un marché de premier ordre plus historique. En clin d’œil au second marché très présent sur la foire, ainsi qu’à la super exposition surréaliste actuellement présentée au Centre Pompidou, White Cube expose sur son stand une petite toile de Salvador Dalí datant des années 1940 et proposée à 1,35 million d’euros. L’enseigne a notamment vendu une œuvre de Lucio Fontana pour 1,3 million d’euros et une autre de Joseph Albers pour 570 000 euros. Si maintes galeries anglo-saxonnes se réjouissaient, la majorité des ventes déclarées se situent toutefois en dessous de la barre des 500 000 dollars. Comme l’a dit un marchand français anonyme, « au-delà d’un demi-million, cela devient difficile ».
Le marché deviendrait-il en réalité un peu plus raisonnable ? Des prix judicieux lui permettent de se maintenir, même si les marchands sont confrontés à la hausse des coûts. « Il y a de bonnes opportunités sur le marché – ceux qui sont intelligents ont ajusté leurs prix. L’heure est aux acheteurs », déclare Elizabeth Dee, galeriste new-yorkaise et fondatrice de la foire Independent Art Fair.
Certains s’interrogent toutefois sur la pertinence d’un agenda artistique surchargé, avec un nombre impressionnant de ventes aux enchères et de foires d’art organisées dans les capitales britannique et française en l’espace de quinze jours. À Paris, cette semaine, ont lieu également quantité de foires Off, notamment Paris Internationale, Asia NOW, Offscreen, The Salon by Nada (pour la première fois à Paris) et, entre autres, un projet pop-up de huit galeries sur la place des Vosges.
Toutefois, certains marchands parisiens se demandent quel sera l’impact de la montée en puissance des grandes galeries sur le marché local. « Pour les galeries françaises, le paradoxe est que Paris a été mis sur la carte, explique Isabelle Alfonsi, cofondatrice de la galerie Marcelle Alix, qui compte parmi ses clients François Pinault. Mais ce sont les plus gros joueurs qui obtiennent les plus grosses parts du gâteau et nous devons nous battre pour les miettes ». Pour les galeries françaises et étrangères réparties dans les nouveaux espaces en dehors de la nef et à l’étage, parfois loin des flux principaux, les avis sur ces deux premiers jours sont mitigés. « Nos craintes ont été apaisées », confie Francis Corabœuf de la galerie Cécile Fakhoury, qui a cédé plusieurs œuvres mêlant les matériaux les plus divers de Marie-Claire Messouma Manlanbien autour de 30 000 euros à une fondation belge et à une collectionneuse basée au Royaume-Uni. L’artiste, qui représente la Côte d’Ivoire à la Biennale de Venise 2024, enchaîne les Biennales de renom ces mois-ci… Anne
Barrault a vu l’activité à la Foire « démarrer gentiment, avec de très bonnes discussions, et quelques petites ventes pour Stéphanie Saadé, Neïla Czermak Ichti ou Marie Losier. Ceux qui montent jusqu’ici viennent pour découvrir et sont motivés », précise-t-elle. Nouvel exposant, la galerie LOFT de Casablanca et Marrakech a vendu plusieurs toiles géométriques colorées de Mohamed Melehi. Dans l’ensemble, les exposants font état d’une solide fréquentation, mais de transactions plus lentes. « On sent que les gens prennent plus leur temps, et veulent vraiment en savoir davantage sur les artistes. Ils ne sont plus prêts comme avant à dépenser leur argent sans réfléchir, et cela requiert bien plus de discussions et d’échanges avant de pouvoir se serrer la main et conclure », explique Robbie Fitzpatrick. Ce dernier vient d’annoncer la fermeture de son espace parisien au profit de projets plus souples et moins lourds…Mais ces décisions plus réfléchies ne signifient-elles pas aussi un retour à la raison salutaire après une envolée parfois délirante des prix sur le marché de l’art ?
Quoi qu’il en soit, malgré quelques problèmes logistiques liés à des températures anormalement élevées et le manque d’offres de restauration au Grand Palais, Art Basel Paris s’est certainement réinventée cette année. Comme le dit András Szántó, conseiller en stratégie culturelle basé à New York : « Art Basel au Grand Palais, c’est à la fois la nouveauté et l’histoire. Tout le monde y gagne ».
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Art Basel Paris, 18-20 octobre 2024, Grand Palais, 3, avenue du Général-Eisenhower, 75008 Paris.