C’est à un triumvirat de fervents apôtres de la scène artistique française que l’on doit l’exposition qui vient de s’ouvrir à Montpellier : Laurent Dumas, entrepreneur immobilier à l’origine de la Bourse Révélations Emerige et du programme « 1 immeuble, 1 œuvre », mais aussi de la collection présentée au MO.CO ; Éric de Chassey, directeur général de l’Institut national d’histoire de l’art (INHA) et commissaire d’exposition qui a, entre autres, été précisément en charge du parcours dédié à la scène française au Salon Art Paris cette année ; et enfin Numa Hambursin, directeur du centre d’art montpelliérain et l’un des commissaires de l’exposition « Immortelle » consacrée à la jeune peinture figurative en 2023.
L’exposition actuelle « est née d’une amitié de longue date avec Éric de Chassey, nouée en particulier quand j’avais été mécène pour soutenir les jeunes plasticiens vivant en territoire français quand il était à la tête de la Villa Médicis à Rome », confie Laurent Dumas. 90 œuvres de sa collection – qui en compte plus de 1 500 « choisies avec le cœur et les tripes » et « à 65 % d’artistes de la scène française », dixit l’entrepreneur – sont présentées avec une subjectivité assumée par Éric de Chassey. Pour des raisons techniques liées au bâtiment, selon ce dernier, ont été retenues principalement des peintures, dont un immense format d’Hélène Delprat faussement joyeux, qu’il a fallu rouler. Les exceptions notables demeurent : une installation de Christian Boltanski, La Fête de Pourim ; une autre formée de peluches et de livres d’Annette Messager ; un collage de Raymond Hains de 1974 montrant des affiches invitant à voter Arlette Laguiller, pour les œuvres déjà historiques. Parmi les œuvres plus récentes figurent Jusqu’ici tout va bien, une enseigne lumineuse de Renaud Auguste-Dormeuil, ou un buste en marbre montrant un soldat blessé au visage, par Kader Attia, flanqué d’un masque africain grimaçant, œuvre dans laquelle l’artiste franco-algérien questionne les violences coloniales…
« Intersection de goûts et de choix », précise Éric de Chassey, ceux du collectionneur et du commissaire, le parcours dresse un panorama de plusieurs décennies de création « française » en quatre étapes : une « archéologie » de la scène française ; la figuration ; la violence et un dernier volet plus contemplatif. Il inclut des artistes étrangers à l'origine, tels Erik Dietman, Ulla von Brandenburg, Thomas Hirschhorn… Des ensembles conséquents se dessinent pour Adel Abdessemed, Dove Allouche – avec notamment la belle série des Sunflower à la peinture d’argent –, Hélène Delprat, Damien Deroubaix, Claire Tabouret, Nina Childress (il en possède une quarantaine d’œuvres !) ou encore Bruno Perramant dont on peut voir ici Cyclone, un diptyque de 2006 montrant un œil. Ce dernier aurait pu être l’affiche de l’exposition si Parade d’Assan Smati, spectaculaire revisite du monde circassien, n’avait pas été retenu. Cyclone, de Bruno Perramant, a été acquis, comme il nous le précise, par Laurent Dumas lors de la vente aux enchères de la collection du cinéaste et producteur Claude Berri chez Christie’s en 2016. Mais, dans l’ensemble, c’est principalement auprès des galeries dont il est un précieux soutien depuis deux décennies que Laurent Dumas a acheté les œuvres. « Je veux beaucoup soutenir les galeries car l’écosystème ne fonctionne que si elles le sont, ce qui me conduit parfois à acheter plusieurs artistes dans une même galerie », explique le collectionneur. Présent cette semaine à l’inauguration de l’exposition à Montpellier, il a ressenti « fierté et émotion » face à cette exposition qui est « une entrée très forte dans mon intimité car ce sont mes choix, et certaines œuvres sont de plus d’ordinaire accrochées chez moi ! ». Avec une rare franchise, Laurent Dumas reconnaît que parfois, il aurait dû « acheter une œuvre plus significative d’un artiste au lieu de dix », ajoutant : « j’essaie ensuite de me rattraper ».
Alors que peu d’institutions françaises ont mis les artistes français vivants à l’honneur pendant l’emblématique semaine d’Art Basel Paris, le MO.CO entend jouer ce rôle en régions. Si l’exposition avait pu intégrer plus de textes sur les inspirations des artistes ou les rapprochements entre eux, à l’attention en particulier du public, elle offre une indéniable vitrine à la collection et à la création française. Il s’agit aussi d’un excellent prélude à l’ouverture en 2026 du centre d’art porté par Laurent Dumas et son groupe Emerige, sur l’île Seguin à Boulogne-Billancourt, où artistes français et internationaux de sa collection seront présentés sous l’œil de divers commissaires. Focalisé sur ce projet, le mécène a mis en sommeil la bourse Révélations Emerige. Combiné à un parc de sculptures prêtées par des galeries et des collectionneurs, des salles de cinéma ou de concerts dernier cri, le concept, dit-il, se veut « unique en Europe, dans l’esprit de l’île de Naoshima au Japon ». Une traversée, au sens propre et figuré, vers la Seine française…
« Parade, une scène française. Collection Laurent Dumas », jusqu’au 12 janvier 2025, MO.CO., 13, rue de la République, 34 000 Montpellier, www.moco.art