« Il y a une grande excitation liée à ce retour dans l’écrin historique du Grand Palais qui marque une véritable montée en puissance de Paris Photo », assure Florence Bourgeois. Directrice de la Foire depuis 2014, elle se féli- cite du gain d’espace qu’ont permis les travaux : « Nous allons occuper 21 000 m2, contre 12 000 au Grand Palais Éphémère et 16 000, lorsque nous étions dans l’ancienne enceinte du Grand Palais. » L’événement accueille 240 exposants, répartis en 195 galeries et 45 maisons d’édition, une hausse significative par rapport aux années précédentes.
Deux centenaires et un nouveau secteur
L’année 2024 marque la célébration de deux centenaires. Pace, Thomas Zander et Steidl rendent hommage au grand photographe des Américains, Robert Frank, né en 1924. Le cinéaste Jim Jarmusch, invité d’honneur de cette édition, célèbre le surréalisme avec un parcours d’une trentaine d’œuvres (il est en conversation avec le critique de cinéma Philippe Azoury le 8 novembre).
Paris Photo ouvre la voie à de réjouissantes nouveautés, comme la création du secteur Voices, mettant en lumière une sélection d’artistes ou de galeries, sous le regard d’un ou d’une commissaire d’exposition. Anna Planas, directrice artistique de la Foire depuis 2023, explique ainsi la densité des propositions qui y sont faites : « Il paraissait important d’intégrer le regard de commissaires pour offrir aux visiteurs différentes lectures du médium, de la Foire et de l’histoire de la photographie. » Trois commissaires ont été invités à concevoir un projet autour d’une thématique de leur choix. Azu Nwagbogu, fondateur et président du Lagos Photo Festival, explore la manière dont les artistes se réapproprient les archives. La fondatrice de FotoMexico, Elena Navarro, s’intéresse quant à elle à la photographie latino-américaine, tandis que l’auteure et commissaire d’exposition Sonia Voss envisage la chambre comme une plateforme d’expression pour la scène d’Europe de l’Est et du Nord, issue de la période postérieure à la guerre froide.
Le secteur Prismes persiste et signe, en mettant l’accent sur le potentiel spatial de la photographie. Il s’inscrit dans la volonté de Florence Bourgeois et Anna Planas de « valoriser des projets monumentaux ainsi que des installations pour faire sortir la photographie de son cadre classique ». Les visiteurs pourront découvrir pour la première fois les 619 tirages de la série People from the Twentieth Century d’August Sander, à l’entrée de la Foire (galerie Julian Sander), ou encore 1 078 clichés de ciel bleu, capturés sur des sites de camps nazis, avec lesquels le photographe Anton Kusters aborde les thèmes du traumatisme et de la commémoration (In-Dependance by Ibasho).
Ouvrir les champs de la photographie
L’ambition de décloisonner la photographie ne peut pas faire l’économie des nouveaux langages et notamment des questionnements autour de l’ère numérique. Pour sa deuxième année, le secteur Digital met en avant quinze propositions, parmi lesquelles celle de Louise Alexander/Fellowship, qui présente le travail de Mat Dryhurst et Holly Herndon, deux artistes emblématiques de cette scène digitale, dont les œuvres sont visibles au sein de l’exposition « Apophénies, interruptions. Artistes et intelligences artificielles au travail », organisée par Kadist et le Centre Pompidou.
des formes nécessairement introspectives liées au périmètre domestique auquel elles étaient confinées. »
Le parcours Elles × Paris Photo cherche aussi à étendre son tour d’horizon depuis 2018. Il est confié pour cette édition à Raphaëlle Stopin, directrice du Centre photographique Rouen Normandie et ancienne directrice artistique du Festival de Hyères. Celle-ci met en regard la scène contemporaine avec de grandes artistes de l’histoire de la photographie qui n’ont pas bénéficié selon elle de la même attention que les plus jeunes générations. « Je trouvais important de montrer la grande diversité des pratiques de ces artistes, car la remise en lumière des femmes s’est parfois accompagnée à mes yeux d’une vision un peu simplificatrice », confie-t-elle. Puis de reprendre : « On les a souvent associées à l’expression de l’intime, des formes nécessairement introspectives liées au périmètre domestique auquel elles étaient confinées. On leur a rarement reconnu une exploration du médium à part entière, un geste de création qui puisse faire le choix de ne pas aborder frontalement leur genre et leur condition. »
Outre la création féminine, la scène émergente reste au cœur de la Foire. Anna Planas est à nouveau en charge de la programmation de ce secteur, lequel s’étend lui aussi, passant de 16 à 23 galeries. « Si le fait de venir à Paris Photo leur permet d’accéder à une place un peu plus institutionnelle, ces jeunes galeries amènent une fraîcheur qui intéresse toute une nouvelle génération de collectionneurs, estime-t-elle. Les prix du secteur Émergence sont quelque peu différents du secteur principal, puisque, en règle générale, le tirage commence à 1 000 - 2 000 euros et monte jusqu’à 10 000 euros. C’est pour nous une façon de proposer des œuvres à de plus jeunes acheteurs, avec des artistes qui débutent sur le marché. »
Le secteur Éditions répond aussi à cette volonté de toucher un public toujours plus large. « Un visiteur qui ne peut pas acquérir une photographie pourra toujours acheter un livre qu’il fera dédicacer pendant une des 400 signatures de Paris Photo », rapelle Florence Bourgeois. Les plus jeunes pourront à loisir explorer le premier espace pédagogique de Paris Photo, où l’exposition « L is for Look », coproduite par l’Institut pour la photographie (Lille) et Photo Élysée (Lausanne), retrace l’histoire du livre photographique pour la jeunesse des années 1930 à aujourd’hui, à travers des dispositifs innovants en matière de scénographie et de médiation culturelle.
La programmation généreuse entend faire oublier les inquiétudes touchant actuellement le marché de l’art. Florence Bourgeois conserve son optimisme : « Le contexte est en effet plutôt anxiogène pour le marché avec des prises de décisions plus lente. À côté de cela sont proposées des œuvres dont les prix vont de 1 000 euros à 2,5 millions d’euros pour un Gordon Matta-Clark présenté par la Patinoire Royale Bach [Bruxelles]. » « Le marché existe bel et bien, l’argent circule et les ventes se poursuivent », constate-t-elle.
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Paris Photo, 7-10 novembre 2024, Grand Palais, 3, avenue du Général- Eisenhower, 75008 Paris.