Ces dernières années, en catimini, Christie’s et Sotheby’s ont réduit drastiquement leurs départements Photo. L’effectif de Christie’s est de trois personnes à New York, et, à Paris, Élodie Morel-Bazin est seule, chargée qui plus est de Londres ; l’équipe de Sotheby’s compte trois personnes à Manhattan, deux à Londres, aucune à Paris. Excepté le cas particulier des collections, les photos sont incluses dans l’art contemporain, ce qui en dit long sur la contraction de ce marché. Selon ArtTactic, en 2023, les enchères de photo constituaient 62 millions de dollars (57,4 millions d’euros) chez Christie’s, Sotheby’s et Phillips, soit une diminution de 16 % en comparaison à 2022. Plus manifeste encore, le segment supérieur à 500 000 dollars (463 000 euros) s’est effondré de 72 %. Seul Phillips a maintenu de façon significative ce domaine (une équipe de neuf personnes entre New York et Londres), l’un de ses fers de lance… En 2023 et au premier semestre 2024, la maison de ventes a obtenu entre 300 000 et 380 000 dollars (278 000 à 352 000 euros) grâce à des figures de poids, tels Ansel Adams et Alfred Stieglitz.
AVENIR INCERTAIN
Faut-il en conclure que le marché de la photo est sinistré ? « N’oublions pas que la photo, ce sont en réalité plusieurs marchés », souligne l’advisor Jonas Tebib, ancien de Sotheby’s. Si les années folles des enchères millionnaires semblent derrière nous, c’est d’abord le segment de la photo le plus spéculatif qui s’est dégonflé. Toutefois, les cas diffèrent de l’un à l’autre. Andreas Gursky, dont Rhein II avait atteint 4,3 millions d’euros en 2011 chez Christie’s, record mondial pour une photographie aux enchères, a vu ses prix retomber. En réalité, « il n’y a plus d’offre aux enchères. Ce ne sont pas les meilleures pièces qui passent, celles-ci se trouvent déjà dans les musées ou ne sortent pas. Pourtant, j’ai des acheteurs potentiels à plusieurs millions », souligne Jonas Tebib. Gagosian a cependant concrétisé de bonnes ventes lors de la dernière édition d’Art Basel à Bâle, en juin 2024.
Thomas Ruff, l’un des anciens poids lourds du marché de la photo, semble avoir pâti de cette omniprésence et être passé de mode. Jeff Wall prend le même chemin, même s’il restera incontournable dans l’histoire de l’art. Wolfgang Tillmans, quant à lui, s’en sort mieux. Ses photos se sont bien vendues à la Galerie Buchholz à Art Basel Paris, et il bénéficiera d’un format inédit d’exposition dans la bibliothèque publique d’information (BPI) du Centre Pompidou du 13 juin au 22 septembre 2025, juste avant sa fermeture pour travaux. « Déjà sur le marché depuis longtemps, l’école de Düsseldorf a été propulsée comme une valeur sûre, ayant attiré notamment les collections d’entreprise qui voulaient de la photo, des grands formats couleur, c’était hype, confie un spécialiste. Mais elles ont freiné leurs achats dans ce domaine. Les prix ne reviendront plus à ces niveaux-là. » Nombre de transactions aujourd’hui plus délicates à mener ou concernant des pièces plus rares se sont d’ailleurs reportées sur le marché privé, de gré à gré.
Dans un marché de plus en plus sélectif, les collections font toujours recette, car la rareté s’impose. En 2023, la collection du musée privé Pier 24 Photography, à San Francisco, ou celle d’Elton John ont attiré les enchères. En mars 2024, un autoportrait de Peter Hujar s’est vendu 252 000 dollars (233 000 euros) chez Christie’s, un record pour l’artiste. « Des collectionneurs sont toujours prêts à payer cher pour des choses rares et importantes, mais le marché plus courant fonctionne moins bien. Si une œuvre n’est pas considérée comme majeure dans le corpus de l’artiste, elle peut désormais rester sur le carreau », note Jonas Tebib.
UNE ÉVOLUTION MULTIFORME
L’évolution se perçoit du côté des galeries et des foires. Des enseignes spécialisées en photo nées dans les années 1970 à 1990, un peu en bout de course, ont fermé ou annoncé la fermeture de leurs espaces, tel Baudoin Lebon. ou ont réduit le nombre de leurs expositions et cherchent une nouvelle formule, telles Françoise Paviot ou Esther Woerdehoff.
« Le renouvellement du comité de sélection de Paris Photo correspond aussi à l’arrivée de nouvelles galeries », pointe une observatrice. Si des références comme Fraenkel Gallery (San Francisco) sont toujours là, le comité s’est élargi, avec entre autres Joshua Chuang (Gagosian) et Jean-Kenta Gauthier, fondateur en 2014 de la galerie parisienne homonyme.
Bonne nouvelle, dans un marché assaini, plus de place est faite pour les découvertes et « pour les galeries qui font un vrai travail de fond, publient des livres, pour ceux qui arrivent à se renouveler, à l’instar de Clémentine de la Féronnière ou Thierry Bigaignon ». Dans ce contexte, Paris Photo doit aussi remplir les espaces du Grand Palais, où la manifestation fait son retour, et semble évoluer pour devenir une Foire autour de l’image, élargissant ainsi la définition de la photographie, comme elle le fait déjà avec le digital. À vérifier sur les cimaises de cette édition.