L’une des grandes réussites de cette édition de Paris Photo est sans conteste Voices, un nouveau secteur qui met en lumière une sélection d’artistes ou de galeries à travers le regard d’un(e) commissaire d’exposition, sur une thématique de son choix.Si la fondatrice de FotoMexico, Elena Navarro, a imaginé un projet autour de la photographie latino-américaine, Azu Nwagbogu, à la tête du Lagos Photo Festival au Nigeria, s’intéresse à des artistes qui remettent en question l’objectivité des archives. L’auteure et commissaire indépendante Sonia Voss explore quant à elle la manière dont les photographes d’Europe de l’Est et du Nord ont fait de l’espace intime un laboratoire d’expérimentation pendant la guerre froide. La galerie (nomade) Alexandra de Viveiros montre notamment une série de l’Ukrainien Roman Pyatkovka qui projette des images de parades soviétiques sur des corps nus, dont la représentation était interdite à l’époque (à 2 200 euros le tirage).
Ce désir d’apporter une dimension plus curatoriale à la foire va de pair avec la présence croissante des institutions, cette année Photo Élysée de Lausanne et de l’Institut pour la Photographie de Lille notamment. Pour la galeriste Nadja Vilenne (Liège) qui présente une installation d’Aglaia Konrad (proposée à 60 000 euros), il y a une volonté de « casser les codes du marché de l’art » qui est d’ailleurs la raison de sa présence sur la foire. « Je ne viens pas avec des objets, je viens avec un concept. L’idée est de vendre une installation pensée avec l’artiste et qui vise plutôt un musée », explique-t-elle. Un des souhaits de la directrice de la foire, Florence Bourgeois, est d’ailleurs « que les galeries rencontrent des institutions ». Pour elle, « les galeries américaines viennent sur la foire car elles savent que plus de 170 musées et groupes de musées seront présents ».
Le choix d’un solo show peut être quitte ou double pour les galeries, même s’il réserve souvent d’agréables surprises, comme la série Gravity d’Aapo Huhta (galerie Momentum de Knokke et Nice, de 650 à 6 900 euros). Pour cet ensemble noir et blanc, aussi étrange que poétique, le photographe finlandais a capturé la déformation des corps au moment d’un saut en trampoline, qu’il a imprimée sur du papier soviétique des années 1980, exploitant les coïncidences offertes par les erreurs de développement. Poétiques également, les diptyques de Träumerei (« Rêverie »),une série de la photographe japonaiseSakiko Nomura proposée entre 1 650 et 5 700 euros par la galerie parisienne Écho 119, sont d’une grande sensibilité. Plus documentaire, la galerie Alta (Andorre) met à l’honneur l’Espagne des années 1960 à travers des clichés à la composition toujours méticuleuse de Ramón Masats, photographe espagnol décédé en mars dernier (de 8 000 à 25 000 euros).
À l’étage, le secteur Émergences, coordonné par Anna Planas, offre son lot de découvertes parmi la jeune création, comme les « portraits solidaires » de Karla Hiraldo Voleau (Christophe Guye Galerie de Zurich, de 1 900 à 3 500 euros). La photographe franco-dominicaine donne la parole à des femmes ayant dû subir un avortement en République dominicaine, pays qui l’interdit quelle que soit la situation de la mère. Chez Zalucky (Toronto), la Française Caroline Mauxion se réapproprie son propre corps à travers des images découpées, déchirées et recomposées, à la suite de son aliénation par le regard médical pendant de nombreuses années (de 1 500 à 4 000 euros).
Notons enfin les belles propositions de Higher Pictures, une galerie new-yorkaise très engagée sur la représentation des artistes femmes et soutenue par Kering, qui réunit le travail des Américaines Carla Williams, Susan Lipper, Janice Guy et Sheila Pinkel autour de la question du portrait et de l’autoportrait (les prix vont de 3 500 et 15 000 euros) ; celle de la galerie Alberto Damian (Trévise) qui met à l’honneur l’Italie du Sud à travers l’œil de Letizia Battaglia (décédée en 2022), Franco Zecchin, Giovanna Borgese et Marialba Russo (entre 3 000 et 16 000 euros). Signalons encore celle de TOBE Gallery (Budapest) qui fait dialoguer le photographe roumain Kincső Bede avec les Sud-Américains Juan Brenner et Oleñka Carrasco sur les relations intergénérationnelles et les héritages culturels, chacun depuis son territoire respectif (prix entre 1 600 euros et 19 000 euros). Face à toutes ces œuvres de qualité, l’intérêt des visiteurs était soutenu dès l’ouverture, et devrait rapidement se concrétiser.
Paris Photo, jusqu’au 10 novembre 2024, Grand Palais, 3, avenue du Général-Eisenhower, 75008 Paris, www.parisphoto.com