En 2001, un groupe de galeristes genevois emmené par Pierre Huber, Edward Mitterrand et Pierre-Henri Jaccaud, tous installés autour du Mamco et du Centre d’art contemporain, décidaient de se fédérer. Leur but ? Attirer le public à leurs vernissages et instaurer une dynamique commune entre les marchands d’art du quartier des Bains, du nom de la rue où la plupart étaient installés. « C’était en mars, il faisait un temps épouvantable, la pluie tombait à verse. Conséquence, ce soir-là, il y avait deux centimètres d’eau dans toute la galerie tellement il y avait de monde. Nous n’avions jamais connu un tel succès. L’essai était transformé, comme on dit au rugby, nous avions gagné notre pari ! » se souvient Pierre-Henri Jaccaud, propriétaire de la galerie Skopia.
Dans un premier temps, ce succès initial a été géré de manière amateur. En 2004, un changement important s’est opéré avec l’arrivée de Marc Blondeau. « C’est lui qui nous proposa alors de créer une association pour nous structurer de manière plus professionnelle et efficace afin de pouvoir discuter avec divers partenaires ou interlocuteurs officiels ou non en ayant plus de poids, poursuit Pierre-Henri Jaccaud. Il nous a offert les coûts de création de l’association et a engagé à ses frais une personne responsable de la coordination et de la communication pour un an. Le Quartier des Bains est vraiment né à ce moment-là. »
Vingt ans plus tard, le quartier fête son anniversaire ce week-end. Une célébration en grande pompe avec des conférences d’artistes, des visites commentées, des ateliers pour les enfants et une grande soirée DJ, samedi 16 novembre, dans l’espace colossal de la galerie Wilde où se trouvent aussi une librairie et un restaurant. Ce même soir, le Centre d’édition contemporaine vernira son exposition « Heimo Zobernig », Wilde celle d’« Adel Abdessemed », Skopia un group show intitulé « Du champ de Marcel » et Xippas une présentation des œuvres de Philippe Ramette. De son côté, le Centre d’art contemporain accueille le Brésilien Antonio Obá et Lovay Fine Art inaugurera à nouveau son accrochage consacré à John Armleder organisé en collaboration avec Olivier Varenne. Cette exposition en deux lieux et deux parties traverse l’œuvre de l’artiste genevois de 1963 à 2024. Bref, de quoi attirer la foule aux Bains.
Dernier galeriste des origines encore en activité dans le quartier, Pierre-Henri Jaccaud est désormais président de l’association. Il est aussi la mémoire vive de ce pôle genevois de l’art contemporain qui a connu des hauts et aussi pas mal de bas. Les hauts d’abord avec le succès phénoménal de la formule entre 2004 et 2008, les rues noires de monde, les sponsors qui se pressent pour participer à la fête et la télévision suisse romande qui suit en direct l’événement en se demandant si les galeristes ne sont pas en train de faire flamber les loyers de ce quartier populaire de Genève. « Nous étions alors une vingtaine de galeries, sans compter la création de lieux éphémères, parfois curieux : un artiste profitant de l’afflux de public pour organiser des expositions dans sa voiture garée dans la rue et des bars alternatifs poussaient comme des champignons. »Et les bas ensuite, lorsque la crise économique a fait retomber la fièvre et dissipé l’effet de mode. Des galeries ont fermé, il n’en reste bientôt plus que huit. Autrefois disséminé un peu partout en Suisse, le marché de l’art s’est concentré du côté de Zurich, même si Genève reste bien accrochée à sa deuxième place. Des méga-galeries, comme Pace et Gagosian, ont bien ouvert des antennes dans la ville, mais pas dans le Quartier des Bains. Sans parler du Covid, en 2020, qui a contribué à calmer le jeu et à changer les habitudes.
Depuis quelques années, le quartier assiste à sa renaissance avec l’arrivée d’une nouvelle génération de galeristes – aujourd’hui au nombre de douze -, plus réaliste, plus professionnelle et mieux préparée. Un regain de dynamisme salutaire que la fête de ce week-end entend démontrer. « Balthazar Lovay, Barth Pralong (Wilde), Olivier Varenne, Fabienne Levy, Leticia Macel, Pierre Geneston (Xippas), Lange + Pult… Ils sont jeunes, dynamiques, créatifs et de grande qualité, observe Pierre-Henri Jaccaud. Sur le plan local, nous avons plusieurs défis à relever avec la fermeture pour travaux du Mamco, du Centre d’art contemporain et de celui de la photographie pendant au moins quatre ans. Ce sera assurément un challenge pour tous, et peut-être une occasion de nous réinventer. Le marché de l’art suisse se déroule essentiellement à Zurich et à Genève qui sont les deux villes du pays les plus actives sur les plans économique et culturel et les plus cosmopolites aussi. Tout comme il est primordial pour nous de soutenir fortement Art Genève qui est notre lien à l’international. »
--
« Le Quartier des Bains fête ces 20 ans ! », du 15 au 17 novembre, plusieurs lieux, programme sur quartierdesbains.ch