Laure Prouvost : Nest In You
C’est autour de ce qui ressemble à une tente de nomade circulaire et du mot anglais « nest » (subst : nid ; v : nicher) que Laure Prouvost a bâti son exposition-féerie. Les parois de la tente sont d’une précieuse tapisserie tandis que sur le toit est posée la forme d’un gigantesque oiseau fait de pièces de tissus et de vieux manteaux assemblés et cousus. Tout autour sont disséminés des oiseaux en verre de Murano et bronze accompagnés de branchages, d’un tronc et de sable. Sur les murs sont fixés des miroirs en arche sur lesquels une bordure de pierre peinte en perspective crée un effet de trompe-l’œil. Chacun des miroirs porte une peinture à l’huile, principalement des images d’oiseaux, mais aussi des abeilles et un vrai brouillard. Ces niches réfléchissent en plus de notre image celle de la tente centrale, si bien qu’elles ouvrent autant qu’elles renferment.
À l’intérieur de la tente est projeté The Nest (2022) sur un morceau de paroi. L’image en haute définition fusionne avec les motifs brodés et d’autres peints, brouillant les frontières entre espaces et médiums. Le film est constitué de séquences très courtes entrecoupées de noirs, alternant vision de l’univers domestique en caméra subjective et vues de nature. Un récit en voix off (celle de l’artiste) nous laisse imaginer un personnage pris dans un devenir oiseau, faisant son nid en différents endroits, y compris sur un câble électrique pour s’y recharger. À la fin, un chœur d’enfants dans un pré nous entraîne dans un conte de fées, ou une utopie, évoquant un nid qui nous attend dans le ciel. Peut-être inspiré par le chant, un épouvantail court et agite ses bras avec la manifeste intention de voler, et on repense alors à l’oiseau en fripes sur le toit. Entrer dans l’installation de Laure Prouvost, c’est s’engager dans un vaste réseau thématique et s’y perdre voluptueusement.
Du 15 novembre 2024 au 4 janvier 2025, Galerie Nathalie Obadia, 91, rue du Faubourg Saint-Honoré, 75008 Paris
David Nash : 45 Years of Drawing
Occupant tous les espaces des deux galeries Lelong & Co, la rétrospective de 45 ans de dessins de David Nash dessine un parcours fluide qui témoigne de l’importance de ce médium dans le travail et la vie du grand sculpteur. Avec du pigment naturel directement appliqué sur la feuille, du fusain, Nash décrit la nature autour de lui, s’inspire de sa lumière et de ses couleurs ou joue des différents langages de l’abstraction. Les arbres, le hêtre en particulier, n’en finissent pas de l’inspirer aussi bien lorsqu’il s’agit de restituer leur masse et leur puissance quasi cosmique, que de s’emparer de leurs teintes pour dessiner des arcs. Glissant du descriptif à l’abstrait, il construit une colonne en cinq bandes qui restitue les couleurs des feuilles de chêne au mois de mai. S’éloignant des arbres, il bâtit des trames de gros pois colorées pour donner le portrait de mois de l’année.
Outre la présence de quelques sculptures qui ont un rôle structurant, deux des œuvres les plus célèbres de l’artiste occupent une place centrale. Il s’agit de Ash Dome et de Wooden Boulder. La première est ce dôme de frênes construit par l’artiste par plantation et greffes à partir de 1977. À cette œuvre construite avec la nature David Nash a donné une vie parallèle à travers les dessins qu’il lui a consacrée. Wooden Boulder est un bloc de bois d’une demi-tonne grossièrement extrait d’un chêne bicentenaire que l’artiste a livré en 1978 aux caprices de la rivière Dwyryd. L’œuvre a parcouru des kilomètres mais n’a plus été vue depuis près de dix ans. Des dessins au fusain restituent son parcours et font une sorte de chronique de ses apparitions et disparitions. Avec la très grande diversité d’approches dont elle témoigne, cette rétrospective montre aussi combien par le dessin David Nash partage la vie de ses sculptures.
Du 14 novembre au 21 décembre 2024, Galerie Lelong & Co, 13, rue de Téhéran et 38 avenue Matignon, 75008 Paris
Tania Franco Klein : Break in case of emergency (flies, forks and fires)
La photographe mexicaine Tania Franco Klein est reconnue pour ses photos intrigantes et très cinématographiques qu’elle organise en séries. Sa première exposition parisienne répartie dans les deux espaces en sous-sol de la galerie nous offre deux descentes dans son univers. Avec Break in case of emergency, nous sommes franchement du côté de la fiction. La photographe y est son seul modèle, mais avant tout par commodité. L’art de la mise en scène de Franco Klein consiste à suggérer beaucoup par le cadrage, la lumière, généralement chaude, et un minimum d’accessoires. Il lui suffit d’un plateau de table en verre photographié en contre-plongée pour tourner un verre d’eau renversé, une fourchette, quelques mouches et un cendrier plein en indices d’une situation dramatique. Situation d’autant moins réfutable qu’à une extrémité de l’image apparaissent les lèvres épaisses et outrageusement rouges d’une femme dont le visage s’efface derrière le couvercle troué de la saupoudreuse qu’elle tient dans sa main. Dans une autre photo, elle se montre à profil perdu en une pose méditative à l’intérieur d’une cuisine. Derrière elle, une poêle posée sur la cuisinière laisse échapper des flammes qui montent jusqu’au plafond. C’est une Madeleine de Georges de La Tour égarée dans un film de David Lynch. À nous de décider si ces scènes relèvent de la projection fantasmatique, du paranormal ou d’une réminiscence.
Dans le deuxième espace, sont présentées en projection six photos construites autour de sérums, élixirs, animaux vendus illicitement dans les sous-sols du plus grand marché public de Mexico. Les objets sont mis en situation dans des intérieurs, mais une seule photo s’approche du tutoriel : de solides bras de matrone appliquent énergiquement sur le crâne d’une femme qui nous tourne le dos, le savon (ou la pierre ?) qui la libérera de ses mauvaises pensées.
Du 7 novembre au 20 décembre 2024, Les Filles du Calvaire, 21, rue Chapon, 75003 Paris
Olaf Holzapfel : The river that connects the banks - Vernacular genealogies
Olaf Holzapfel travaille principalement avec des matériaux naturels. Le choix de ces derniers tient pour une part à leurs qualités propres mais aussi aux histoires, traditions et rituels auxquels ils sont associés. L’exposition réunit des œuvres appartenant à quatre corpus distincts mais principalement des Heubilder(tableaux de foin) et des Strohbilder (tableaux de paille). Les premiers sont réalisés à partir de corde de foin tressé avec l’aide des habitants d’un village à la frontière de la Basse-Silésie et de la Pologne. À l’origine, ce type de corde servait d’isolant pour les maisons et la technique de tressage était utilisée pour la confection de ruches. Outre la mémoire dont ils sont porteurs, ces tableaux-reliefs se rattachent à l’idée et à la tradition du paysage en peinture. Le lien avec le paysage existe aussi dans le cas des tableaux de paille mais ceux-ci se rattachent avant tout à une histoire de l’abstraction. Par l’assemblage et des teintures naturelles, Olaf Holzapfel réalise des constructions complexes qui produisent des effets de glissement du relief au plan, des vibrations optiques. Le terme de Lichtbilder (tableaux de lumière) que l’artiste applique aux deux types d’œuvres (renvoi au symbolisme de la paille et du foin) est encore plus juste pour ces tableaux qui tendent vers l’art lumino-cinétique. Repensant l’art construit, Olaf Holzapfel le déplace d’une perspective futuriste en écho au monde industriel vers une autre, rurale et écologique. Le grand mouvement pictural du XXe siècle vient trouver sa place dans une histoire plus longue en même temps qu’il prend part aux questionnements de l’époque.
Du 18 octobre 2024 au 21 décembre 2024, Xippas, 108, rue Vieille du Temple, 75003 Paris