Inaugurée le 28 octobre 2014, jour anniversaire de la naissance du peintre britannique, la Francis Bacon MB Art Foundation possède plus de 3 500 œuvres et objets, dont le plus grand fonds photographique sur le peintre. Pour ce 10e anniversaire, elle accueille une exposition dédiée aux œuvres graphiques du maître, dont chaque pièce est issue de la collection. Il s’agit là d’une règle d’or posée par son discret fondateur, Majid Boustany, qui vit, selon ses dires, « bras dessus-bras dessous avec Francis Bacon et son œuvre ». Cette passion dévorante a changé le cours de son existence.
Tout commence lors d’une visite à la Tate Gallery à Londres dans les années 1990, alors que Majid Boustany, jeune étudiant en relations internationales, découvre le triptyque Trois Études de figures au pied d’une crucifixion (1944). « J’étais à la fois fasciné et choqué par ces créatures menaçantes, et en même temps, je désirais en savoir plus sur cette œuvre fondatrice », explique Majid Boustany.
Ses enquêtes – il utilisera parfois un détective ! – le plongent dans une histoire de l’art appréhendée à travers l’œil de l’artiste. Le visage enrubanné du panneau central de la crucifixion lève le voile sur le Christ outragé de Matthias Grünewald (1503-1505), tandis que le panneau de gauche révèle un cliché de la médium Eva Carrière, publié dans l’ouvrage Phénomènes de matérialisation. Majid Boustany est happé par ces œuvres existentialistes qui mettent à nu une intimité ponctuée de drames et de violences. « C’est un artiste qui vous met face à vous-même, face aux sujets les plus brûlants de votre existence », concède-t-il.
L’idée germe alors de créer une fondation à but non lucratif, qui lui permettrait de partager sa passion et de faire avancer la recherche sur l’artiste. « Je voulais un lieu qui ne ressemble en rien à un musée, où le visiteur pourrait avoir l’impression d’entrer dans l’intimité du peintre », détaille Majid Boustany, dont la famille est active dans le domaine de l’immobilier. Le mécène opte pour Monaco : sa ville d’adoption fut également la résidence principale de Francis Bacon entre juillet 1946 et le début des années 1950. C’est là que l’artiste a imaginé ses premières figures papales, inspirées par le Portrait du pape Innocent X de Velázquez. C’est aussi à Monaco qu’il lui vient l’idée de peindre sur le revers de la toile, après une mésaventure au casino qui ne lui laisse plus assez d’argent pour acheter des supports neufs.
En 2010, Majid Boustany rencontre Elizabeth Beatty, administratrice de l’Estate de Francis Bacon, l’exécuteur testamentaire Brian Clarke, et Martin Harrisson, qui travaille à l’époque à la rédaction du catalogue raisonné de l’artiste. Après l’accord de S.A.S. le Prince Albert II de Monaco pour installer la fondation sur le sol monégasque, les travaux commencent à la Villa Élise en 2012. La maison Belle Époque, pensée comme un écrin au décor directement inspiré du travail de l’artiste, ouvre deux ans plus tard.
Majid Boustany se met alors en quête des œuvres de jeunesse de l’artiste, qui « sont fondamentales pour la compréhension des futurs tableaux du peintre ». Il acquiert sa première œuvre, Gouache (1929), pour 488 750 livres sterling, ainsi qu’une Peinture de 1930 pour 548 750 livres, chez Christie’s à Londres, en octobre 2018. Instinctif et néanmoins méthodique, le mécène entreprend aussi de reconstituer la bibliothèque de Francis Bacon, livre par livre. L’obsession paie. Si la référence au tableau d’Ingres est évidente dans Œdipe et le Sphinx d’après Ingres (1984), un coup d’œil à la couverture du magazine de golf Style analysis, de Louis T. Stanley (1951), trouvé dans l’atelier de l’artiste, révèle la genèse iconographique de la flèche qui pointe vers la figure chimérique au centre du tableau.
À partir de 2020, la fondation étend son soutien au musée du Louvre, à Paris, à travers le Fonds Majid Boustany. Pérennisé via des placements financiers, ce dernier servira à restaurer, le jour venu, plus de soixante-dix pièces dont Francis Bacon s’est inspiré lors de ses flâneries au musée à partir des années 1920. Figurent sur cette liste l’huile sur toile d’Ingres déjà citée, évidemment, mais aussi l’Esclave rebelle (1513-1515) de Michel-Ange, qui a inspiré une peinture en 1950, ou encore l’Autoportrait aux Bésicles (1771) de Chardin, qui a servi de modèle à Étude de Reinhard Hassert (1979) ; Étude d’Eddy Batache (1979). Un centre de recherche à l’École du Louvre, le Prix Denon et la Bourse de Soutien aux Artistes de la Villa Arson s’insèrent également dans une politique de mécénat qui s’attache autant à faire connaître le travail de l’artiste qu’à encourager la jeune création.
Jusqu’au 5 janvier 2025, l’Espace de l’Art Concret (EAC) à Mouans-Sartoux dévoile, en partenariat avec la fondation et sous le commissariat d’Elsa Boustany (Francis Bacon MB Art Foundation) et Fabienne Grasser-Fulchéri (directrice de l’EAC), un visage méconnu de l’artiste, celui de designer. Le parcours est rythmé par les prêts d’une rarissime table aux formes tubulaires, d’un tapis signé, d’un tabouret, ainsi que des deux premières œuvres de l’artiste. Collectionneur insatiable, Majid Boustany vient d’acquérir un cabinet (créé vers 1930) en vente aux enchères, que les passionnés peuvent déjà admirer à la fondation, à Monaco.
Francis Bacon MB Art Foundation, 21 bd d'Italie, 98000 Monaco.
« Francis Bacon et l’âge d’or du design », jusqu’au 5 janvier 2025, Espace de l’Art Concret, Château de Mouans, 06370 Mouans-Sartoux.