Notre-Dame de Paris, qui rouvre le 8 décembre 2024, est un chef-d’œuvre de l’architecture médiévale, avec ses sculptures et ses arcs-boutants. Édifiée en moins d’un siècle, elle arborait dès 1270 une silhouette proche de celle que nous connaissons aujourd’hui. Après les ajouts de l’époque baroque jusqu’au XVIIIe siècle, et avoir été transformée en entrepôt de vin à la Révolution française, la cathédrale a retrouvé sa splendeur au XIXe siècle. L’architecte Eugène Viollet-le-Duc a construit sa flèche élancée et installé des chimères énigmatiques perchées sur les hauteurs. Les visiteurs du XXIe siècle ont ressenti collectivement une vive émotion face à l’incendie dévastateur de 2019, qui a été suivi par une reconstruction aussi rapide que pleine d’espoir. Avant cela, de nombreux artistes ont été inspirés par le monument au cours des siècles. En voici un choix.
Jean Fouquet
La main droite de Dieu protégeant les fidèles contre les démons (vers 1452-1460)
Metropolitan Museum of Art, New York
L’art français a connu un épanouissement précoce sous l’impulsion de Jean Fouquet, maître de la Renaissance qui sut associer avec virtuosité les influences italiennes et flamandes. Dans cette miniature à la détrempe et à la feuille d’or, incluse dans les Heures d’Étienne Chevalier, livre de prières enluminé commandé par le trésorier du roi Charles VII, Fouquet immortalise le Paris médiéval quelques siècles après l’achèvement de Notre-Dame.
Avec une précision topographique sublimée par une contemplation spirituelle, la scène mêle terre et ciel : la façade occidentale de la cathédrale domine la prière du soir, tandis que d’étranges démons s’évanouissent, vaincus par la puissance suprême de la main de Dieu, souveraine et protectrice.
Eugène Delacroix
28 juillet 1830 – La Liberté guidant le peuple (1830)
Musée du Louvre, Paris
En juillet 1830, la monarchie de Charles X vacille, renversée par l’élan d’une foule parisienne qui transforme une série d’échauffourées en une révolution fulgurante. Dans cette œuvre magistrale et allégorique, Delacroix immortalise cet épisode sur les barricades : au centre, une Liberté déterminée, le drapeau tricolore levé haut, guide les insurgés vers la révolte. Le décor ne laisse aucun doute sur le lieu : en haut à droite, à travers la fumée et le chaos, se profilent les tours familières de Notre-Dame, témoins silencieux de cette tempête historique.
Mais l’été de 1830 ne fut pas clément pour la cathédrale. Dans la fièvre révolutionnaire, des émeutiers, animés par les mêmes passions anticléricales qui avaient enflammé leurs prédécesseurs de 1789, saccagèrent certains de ses vitraux et mirent le feu à un bâtiment voisin, infligeant à l’édifice de lourds dommages. Ainsi, Notre-Dame partagea, à sa manière, les secousses de cette époque tumultueuse.
Charles Meryon
L’abside de Notre-Dame, Paris (1854)
Metropolitan Museum of Art, New York
Considéré comme le maître graveur français du XIXᵉ siècle, Charles Meryon transforma son daltonisme en une singularité artistique. Ancien officier de la marine française, il parcourut le globe avant de revenir à Paris, où il embrassa une carrière artistique centrée sur Notre-Dame, motif récurrent de son œuvre. Cette gravure, qui capture une vue de la nef et des arcs-boutants de la cathédrale, immortalise l’édifice avant l’ajout de sa flèche emblématique.
Meryon, dont la vie s’acheva tragiquement dans un asile, demeure célébré pour ses interprétations atmosphériques de l’architecture parisienne. À travers l’eau-forte, il manipule magistralement lumière et ombre pour révéler avec une précision fascinante les subtilités architecturales. Cette vision de Notre-Dame, empreinte d’une puissance sobre et poétique, est unanimement considérée comme son chef-d’œuvre.
Childe Hassam
Cathédrale Notre-Dame, Paris, 1888 (1888)
Detroit Institute of Arts, Detroit
Premier impressionniste américain, Childe Hassam arrive à Paris en 1886, aspirant à une formation académique dans une école d’art prestigieuse. Pourtant, ce jeune peintre en quête de classicisme subit, au fil de son séjour, une métamorphose artistique. Lorsqu’il rentre aux États-Unis en 1889, il est armé d’un regard impressionniste affûté, prêt à capter les paysages américains et les scènes urbaines de son nord-est natal avec une sensibilité nouvelle.
Cette transformation est palpable dans cette vue de la rive gauche, réalisée à l’aube de sa carrière. Là, les tours majestueuses de Notre-Dame dominent la composition, tandis que des éléments modernes – panaches de fumée de bateaux à vapeur, réverbère élancé et presque spectral – ancrent la scène dans une réalité vibrante. Ce mariage subtil de l’ancien et du contemporain reflète la transition d’Hassam vers une vision artistique plus libre et lumineuse.
Maximilien Luce
Le Quai Saint-Michel et Notre-Dame (1901)
Musée d’Orsay, Paris
Dans sa série dédiée à Notre-Dame, le néo-impressionniste Maximilien Luce s’éloigne du divisionnisme rigoureux à la Seurat, offrant ici une vision vibrante de la rive gauche. La façade ouest de la cathédrale se pare d’une cascade lumineuse d’orange, de rose, de rouge et de bleu, qui transforme l’édifice en une présence presque vivante. En contrebas, la scène urbaine oscille entre fixité et mouvement : des figures, saisies dans leur élan, semblent à la fois immobiles et emportées dans une dynamique incessante.
Cette œuvre, aujourd’hui conservée au musée d’Orsay, est présentée dans l’exposition « Notre-Dame de Paris : Un laboratoire pour la restauration des cathédrales » (jusqu’au 2 mars 2025). Le tableau illustre comment la rénovation du monument au XIXe siècle inspira une redécouverte artistique du Moyen Âge, un élan magnifiquement capturé par le regard de Luce.
Henri Matisse
Vue de Notre-Dame (1914)
MoMA, New York
Durant sa période parisienne, Henri Matisse travaillait dans un atelier situé au 19, quai Saint-Michel, offrant une vue imprenable sur Notre-Dame. Fasciné par la majesté de la cathédrale, il l’a immortalisée à plusieurs reprises, mais jamais avec autant de dépouillement que dans cette œuvre. Ici, la façade ouest est réduite à l’essentiel, un bloc noir, dense et ombragé, presque abstrait, trônant dans un espace dépourvu de figures.
Les voyages de Matisse au Maroc en 1912 et 1913 avaient profondément enrichi sa palette, et cette influence imprègne la toile. Achevée à l’aube de la Première Guerre mondiale, elle s’offre comme une méditation silencieuse, construite par couches successives. Matisse enveloppe la scène d’un bleu profond, griffé par endroits. Une œuvre où la modernité dialogue avec la spiritualité, et où Notre-Dame se métamorphose en une icône intemporelle, entre ombre et lumière.
Eugène Atget
Notre-Dame depuis le quai de la Tournelle (1923)
Metropolitan Museum of Art, New York
Premier grand photographe documentaire français, Eugène Atget travailla sur une période s’étendant de Napoléon III et le Second Empire jusqu’au premier vol transatlantique de Charles Lindbergh. Dans son œuvre, un surréalisme brut et naturel se mêle à une nostalgie poignante, créant une vision de Paris à la fois ancienne et éphémère, presque minérale, comme si la ville s’effaçait lentement sous nos yeux.
Ce n’est qu’à la fin de sa vie qu’Atget porta un regard régulier sur Notre-Dame, qu’il préféra souvent observer de loin et capter selon des angles inattendus. Dans cette image, les arcs-boutants célèbres de la cathédrale se métamorphosent, prenant des allures de vrilles étranges, presque organiques, dans une composition où l’architecture glisse imperceptiblement vers l’onirique.