Avec Denis Brihat disparaît l’une des grandes figures de la photographie contemporaine. Atypique aussi. Après un brillant début de carrière dans le reportage, il s’était retiré dans le Luberon pour « cultiver son jardin », immortalisant en gros plan poivrons, coquelicots ou pelures d’oignons.
Né en 1928 dans le 16e arrondissement à Paris, il se passionne adolescent pour la photographie. Il étudie à l’École technique de photographie et de cinéma de la rue Vaugirard, qui deviendra l’école Louis-Lumière, puis commence à travailler comme « photographe d’illustration », intégrant l’agence Rapho où il côtoie, entre autres, Brassaï et Robert Doisneau. Une série de prises de vues réalisée lors d’un voyage en Inde lui vaut de recevoir le prix Niépce en 1957. Installé dans sa maison-atelier provençale de Bonnieux à partir de 1958, il se consacre dès lors à la contemplation des fruits, légumes et fleurs de son jardin potager, qu’il entretiendra de ses propres mains jusqu’à ces dernières années – son autre passion avec la photographie.
Les tirages sophistiqués en noir et blanc de cet admirateur d’Edward Weston évoluent peu à peu vers des teintes métalliques et de subtils effets chromatiques avec le recours à la technique du virage. Dans les années 1960, son ode sensible au monde végétal fait florès, jusqu’au Museum of Modern Art (MoMA) de New York.
« Denis Brihat a milité pour la reconnaissance de la photographie comme expression artistique à part entière. Il a ouvert la voie à toute une génération de photographes-auteurs auxquels il a appris à mettre en valeur la qualité picturale et ornementale de l’image grâce à des tirages soignés, numérotés et souvent de grand format. Partisan d’une valorisation démocratique de la photographie, il a été parmi les fondateurs des Rencontres Internationales de la Photographie d’Arles et a aussi été de l’aventure de la galerie municipale du Château d’eau à Toulouse », lui a rendu hommage la Bibliothèque nationale de France (BnF), à Paris.
« Denis Brihat était l’une des figures essentielles de la photographie en France. Fascinante et parfois même envoûtante, son œuvre s’affirme entre réflexion engagée sur le médium photographique et méditation poétique sur le sens de l’existence, poursuit la BnF, qui lui a consacré une grande rétrospective en 2019, « Denis Brihat. De la nature des choses ». L’exposition « proposait un parcours thématique autour des motifs récurrents de l’œuvre de Denis Brihat : la délicatesse de la ligne, souvent caractérisée par le choix d’un noir et blanc sobre et graphique ; l’éveil des formes naturelles écloses sous son objectif ; la quête de la couleur juste, apportée par des virages complexes, afin de traduire les subtilités du règne végétal ; la sensualité des matières et les expérimentations photographiques qui en accompagnent la capture. »
En 2019, le photographe avait consenti à l’institution un don de plus d’une centaine de pièces – tirages d’expositions et d’études, portfolios, cahiers de recherche… – caractéristiques de son travail. Complétée par l’achat d’une dizaine d’épreuves de l’auteur, cette donation a permis d’asseoir la BnF comme un établissement de référence pour la connaissance et la valorisation de son œuvre.
« Denis Brihat est un ovni dans sa génération puisqu’il a choisi le retrait, la solitude et la frugalité, écrit l’historien de la photographie Michel Poivert dans sa préface au livre Les oignons de Denis Brihat (éditions Le Bec en l’air). C’est un peu le ravi de la photographie, un philosophe de terrain, mais surtout le grand-père d’une photographie alternative française puisqu’il s’est détourné de la doxa du reportage, à une époque où ce genre dominait. Denis Brihat a choisi l’expérimentation. Il est un des premiers à parler de “tableaux photographiques”. »