L’art est parfois porteur de messages politiques, et la culture l’enjeu de sourdes batailles stratégiques. En Lituanie, Šarūnas Birutis (social-démocrate aspirant au poste de ministre de la Culture dans le cadre des récentes élections), vient il y a quelques jours d’affirmer qu’il ne faut pas censurer à outrance la culture russe classique, commentant l’exclusion de Prokofiev et Stravinsky du répertoire de l’opéra national. Avant de se dire, ce 11 décembre, contre l’importation de la culture russe actuelle dans son pays, à l’exception des artistes qui ont clairement pris position contre le régime de Vladimir Poutine…
En France, la Saison de la Lituanie, placée sous la houlette de la commissaire Virginija Vitkienė et de l’Institut français, et de sa présidente Eva Nguyen Binh, se veut, à travers l’art, un statement. D’une part, l’ambition est de renforcer la scène culturelle sur le territoire lituanien et, de l’autre, de lui offrir une visibilité au-delà des frontières, en France. Il s’agit de rappeler les liens avec l’Europe de ce petit pays balte de 2,8 millions d’habitants, nation à l’histoire mouvementée qui a payé un lourd tribut à la Russie puis à l’URSS. Les nouvelles générations d’artistes n’ont souvent pas connu eux-mêmes l’époque soviétique, mais redoutent néanmoins que l’histoire se répète…
En tout, ce sont plus de 200 événements qui ont été programmés pour faire découvrir la culture lituanienne sur le sol français, à Paris et en régions. Une partie conséquente d’entre elles se poursuivent début 2025, soit après la cérémonie de clôture qui aura lieu demain, 12 décembre, au Palais de Tokyo, à Paris. L’institution parisienne accueille ainsi « Les frontières sont des animaux nocturnes / Sienos yra naktiniai gyvūnai » jusqu’au 5 janvier 2025, un volet étant présenté chez KADIST, le tout en collaboration avec le Centre d’art contemporain de Vilnius, le CAC. L’exposition d’Eglė Budvytytė, « De sang chaud et de terre », se poursuit au FRAC Île-de-France, Le Plateau, dans le 19e arrondissement de Paris, jusqu’au 23 février 2025.
En régions, ce sont Aleksandra Kasuba et Marija Olšauskaitė qui sont à l’honneur du Carré d’Art – Musée d’art contemporain de Nîmes avec le Musée national d’art de Lituanie (National Gallery of Art, NGA, à Vilnius), jusqu’au 23 mars 2025. Cette impressionnante bâtisse avait été conçue à l’origine pour devenir un musée du communisme. Elle abrite aujourd’hui les collections nationales d’art moderne et contemporain… La Lituanie est par ailleurs l’invité d’honneur de la Biennale des imaginaires numériques 2024 en partenariat avec la Biennale de Kaunas et l’Académie des Beaux-Arts de Vilnius, déployée dans le sud de la France, à Aix-en-Provence, Marseille, Avignon, Istres et Arles, jusqu’au 19 janvier 2025…
L’objectif de cette opération, organisée à la demande de la Lituanie, et qui se double d’une Saison de la France en Lituanie, plus modeste ? « Établir une coopération plus étroite avec la France pour le futur, après la Saison », a souligné Simonas Kairys, ministre de la Culture qui a suivi le projet. Et d’ajouter : « La culture est ce qui fait une nation, aux côtés de notre patrimoine, de notre citoyenneté, et de nos valeurs démocratiques », rappelant les efforts menés par l’Union soviétique pour détruire la culture locale. « Être Lituanien aujourd’hui, c’est être Européen, faire partie d’organisations mondiales ». L’un des enjeux de la Saison de la Lituanie en France est aussi de renforcer les échanges de savoir-faire et d’expertise, alors que « Kaunas Capitale européenne de la Culture » en 2022 a déjà « permis d’améliorer les compétences dans le domaine de la culture », souligne encore l’ancien ministre.
En France, l’opération s’inscrit indéniablement dans la durée grâce à une importante donation consentie au Centre Pompidou, à Paris, qui la présente en ses murs jusqu’au 6 janvier 2025. Ce don a été permis par la générosité des fondateurs du MO Museum de Vilnius, Danguolė et Viktoras Butkus, un lieu privé ouvert en 2018 en plein centre de la capitale et dessiné par l’architecte star Daniel Libeskind. Dans le contexte actuel des tensions avec la Russie voisine, le musée, qui avait misé sur une grande transparence des réserves depuis le hall, a d’ailleurs décidé de faire poser un volet pour les protéger… Un signe que le danger est pris très au sérieux.
La donation au Centre Pompidou comprend des œuvres historiques majeures de Marija Teresė Rožanskaitė, Kazimiera Zimblytė, Linas Leonas Katinas, Marija Švažienė, Vincas Kisarauskas et Elvyra Kairiūkštytė. « Ces artistes, dont les démarches novatrices ont été largement réprimées pendant l’occupation soviétique, n’ont été reconnus qu’à titre posthume, à l’instar de Marija Teresė Rožanskaitė (1933-2007) qui [a représenté en 2024] la Lituanie à la 60e Biennale de Venise avec Pakui Hardware », précise le Centre Pompidou. « Nous sommes à la recherche de nouveaux récits de la part des autres pays, et d’en faire partie, après 50 ans où nous n’étions pas inscrits sur la carte internationale de l’art », explique la directrice du MO Museum, Milda Ivanauskienė, qui fait partie de la nouvelle génération de femmes qui ont pris les rênes des lieux culturels en Lituanie et qui en incarnent le renouveau. Gageons qu’avec la Saison de la Lituanie en France, elle a été entendue.
A voir à Paris et région parisienne
« Art contemporain en Lituanie de 1960 à nos jours. Une donation majeure »
« Kazys Varnelis (1917-2010) œuvres du musée national de Lituanie »
Jusqu’au 6 janvier 2025, Centre Pompidou, galerie du musée, niveau 4, 75003 Paris
« Les frontières sont des animaux nocturnes / Sienos yra naktiniai gyvūnai », jusqu’au 5 janvier 2025, Palais de Tokyo, 75116 Paris et KADIST Paris, 75018 Paris.
« Eglė Budvytytė. De sang chaud et de terre », jusqu’au 23 février 2025, FRAC Île-de-France, Le Plateau, 75010 Paris.
A voir en régions
« Aleksandra Kasuba et Marija Olšauskaitė », jusqu’au 23 mars 2025, Carré d’Art – Musée d’art contemporain, 30000 Nîmes.
Biennale des imaginaires numériques 2024, clôture entre le 15 et le 19 janvier 2025, Aix-en-Provence, Marseille, Avignon, Istres et Arles.
« L'Op Ethnographique », jusqu’au 19 janvier 2025, Fondation Vasarely, Aix-en-Provence.
« Tadao Cern. L'Adieu (The Farewell) », jusqu’au 5 janvier 2025, abbaye de Beaulieu-en-Rouergue Ginals.
« Anastasia Sosunova, Biennale de Lyon, jusqu’au 5 janvier 2025.
« Tethys », jusqu’au 26 janvier 2025, La Citadelle, Villefranche-sur-Mer.
Biennale Chroniques, jusqu’au 19 janvier 2025, Marseille, Aix-en-Provence et Avignon.
« Jonas Žukauskas, Jurga Daubaraitė. Les pièces de la forêt », jusqu’au 27 avril 2025, Arc-en-rêve Centre d'Architecture, Bordeaux.