Julije Knifer : Le Méandre comme destin
2024 marque le centenaire de la naissance de Julije Knifer et les vingt ans de sa disparition. La galerie frank elbaz vient clôturer cette année de célébrations par une 7e exposition d’un de ses artistes phares. C’est en 1960 que Knifer choisit le méandre en noir et blanc, ce motif décoratif en forme de U enchaînés, comme son motif ou signe visuel. Le mot de « méandre » lui est suggéré par un ami critique, et il l’accepte, mais ce qu’il lui importe, c’est de renoncer à la composition en peinture. Durant plus de quatre décennies, Knifer n’a dessiné et peint qu’à partir de cet unique tracé, variant les dimensions, le réduisant parfois à quelques traits noirs sur fond blanc, ou blancs sur fond noir.
Avec un choix de quelques œuvres clés, des dessins, textes et documents, c’est le travail d’une pensée qui est exposé. À côté d’un tableau de 1959, une composition en noir et blanc de motifs géométriques emboîtables est accrochée un méandre de 1960. C’est le moment où l’opposition figure-fond est surmontée et où l’œuvre bascule du pictural vers le conceptuel. C’est le moment aussi où la construction cède la place au rythme. Dans un autre tableau de ces mêmes années, le méandre est bordé de deux marges blanches, comme une dernière attache au modèle du tableau. Une autre œuvre clé est ce grand mural réalisé pour la première fois lors d’une exposition au Mamco à Genève dans les années 1990. Le méandre à trois jambes de plusieurs mètres de hauteur s’apparente alors à un seuil et ouvre une perspective nouvelle. Knifer voyait la suite de ses œuvres à partir de 1960 comme un seul et unique méandre. En prélevant quelques éclats significatifs dans ce long tracé, l’exposition y fait une excellente introduction.
Du 23 novembre 2024 au 11 janvier 2025, galerie frank elbaz, 66, rue de Turenne, 75003 Paris
Jameson Green : Look back, and smile on perils past
C’est avec un réel sens de la dramaturgie que Jameson Green a conçu sa première exposition parisienne. Il a fait fermer l’une des deux issues de la grande salle principale, fait peindre les murs en gris sombre et n’y présente que deux tableaux. Ceux-ci se font face et sont éclairés par des spots de façon très muséale. À main gauche en entrant, c’est une œuvre de taille moyenne, le visage d’un dieu de colère dans un ciel gris et lourd. À l’autre bout de la pièce, couvrant presque la largeur du mur, nous attend une toile de 320 x 640 cm ayant pour titre Moral Currency. Un banc nous est offert pour prendre le temps de contempler cette narration complexe et riche de détails. À gauche, on voit un mâle noir violenté par une imposante Vénus blanche au miroir. Le spectateur de cette scène primitive est un jeune noir, peint dans un style cartoon, qui se trouve tout à fait à droite de la composition. Entre les deux parties de cette scène littéralement éclatée, figurent une multitude de personnages noirs engagés dans des actions diverses, du gamin des rues au révolutionnaire armé, avec la violence présente un peu partout. Au milieu, sous une bannière réduite à trois étoiles et une bande rouge, un minuscule politicien blanc se débat pour exister. Green semble s’être inspiré des grandes peintures murales édifiantes pour dynamiter le genre et faire sortir l’histoire de ses gonds. Mélangeant les styles et en ne craignant pas de jouer avec les représentations caricaturales du noir, Jameson Green s’impose comme un peintre libre et d’une ironie supérieure.
Du 23 novembre au 21 décembre 2024, Galerie Almine Rech, 64, rue de Turenne, 75003 Paris
Bat-Ami Rivlin : Unitled (inflatable slider)
Bat-Ami Rivlin conjugue un intérêt pour des objets négligés et une approche contextuelle de l’art de l’exposition. Invitée à exposer par la galerie Lo Brutto Stahl simultanément dans son espace parisien et dans l’antenne que l’enseigne inaugure dans un local de l’aéroport de Bâle-Mulhouse, côté suisse, l’artiste a demandé au duo marchand de lui procurer pour chacun des lieux un toboggan d’évacuation pour avion de ligne. Ces toboggans qu’on arme à chaque décollage et désarme à chaque atterrissage se gonflent automatiquement en une poignée de secondes. Le modèle déniché était conçu pour l’Airbus A380, monstre des airs à double pont dont la construction a été abandonnée en 2021 faute de commandes. Cet objet n’ayant eu d’existence que roulé à l’intérieur d’un conteneur ou, éventuellement, gonflé pour une mission de sauvetage, sa présentation sur le sol d’une galerie est, dans un double sens, du jamais vu. À Paris, la toile est étalée au sol sur une dizaine de mètres faisant éprouver tout à la fois une impression de vide et d’envahissement. À Bâle, l’espace est très restreint et la toile apparaît vraiment en dépôt, presque en souffrance. Il est clair que l’œuvre ne se réduit pas à un ready-made introduit dans le circuit artistique, mais qu’elle est une histoire de protocole et de complicité entre l’artiste, la galerie et l’éventuel collectionneur. Il y entre une part d’embarras et de désolation. Ce déploiement ici et ce repliement là-bas sont empreints d’une part de romantisme.
Du 7 décembre 2024 au 18 janvier 2025, Lo Brutto Stahl, 21, rue des Vertus, 75003 Paris
Et aussi à : Lo Brutto Stahl, Southwest Maintenance Area, CH-4030 Basel-Airport, Suisse
Rafik Greiss : The Longest Sleep
Rafik Greiss expose des objets ou fragments d’objets, et des photos. Ces dernières s’attachent à des scènes sans éclat mais chargées d’une intensité émotionnelle : des barrières de tissus troués, une tête vue de dos, une statuette dans un musée archéologique. La plupart de ces photos ont été tirées avec un fort contraste et sur un papier japonais qui en abaisse encore la définition. Les objets les plus remarquables, ramassés dans la rue à Paris, Tbilissi ou Le Caire, sont une porte-fenêtre à double battant et un cadre de piano droit. Les deux ont été suspendus au mur, les bas de la porte sont légèrement soulevés et écartés comme une jupe prise dans le vent, le cadre de piano évoque quelque peu César Domela. À côté de ces pièces auxquelles chacun trouve à se raccorder, il en est d’autres plus abstraites ou plus secrètes. Ce sont de minces plaques de bois usées que l’artiste a placées sous la protection d’un verre et de pattes de fixation métalliques méticuleusement choisies. Dans cette relation qui s’établit entre plaque de verre neuve et plaque de bois usagé, pas moyen de décider laquelle est l’exposant et laquelle l’exposé.
Rafik Greiss a également fait poser dans un coin de la galerie des panneaux de bois sur les murs en se référant aux dimensions des colonnes. C’est une façon d’établir un raccord entre les choses rapportées, leur mémoire, et la situation présente. Sur l’un des panneaux est imprimée une image ancienne d’Adam endormi auprès d’un arbre qui pourra être jugée signature ou sujet de l’œuvre.
Au sous-sol est projeté sur trois écrans un film tourné au Caire. Il montre des danseurs soufis au ralenti sur une nappe de synthétiseur mixée avec des sons ambiants. C’est une vision de transe qui mêle l’intime au sacré.
Du 22 novembre 2024 au 18 janvier 2025, Balice Hertling, 84, rue des Gravilliers, 75003 Paris