Nikki Maloof : Around the Clock
En une quinzaine de toiles, Nikki Maloof nous fait découvrir la plupart des pièces de sa maison et du jardin édénique qui l’entoure. Elle y situe une série de scènes d’une famille fictive. Dans ces images surchargées et dans lesquelles abondent les motifs floraux, toujours un détail ou deux viennent troubler l’ordre des choses. Les dialogues s’y font essentiellement avec les mains, mains aux doigts très articulés à la façon des peintres d’icônes. Les personnages nous tournent souvent le dos ou leur tête est coupée par le cadre comme dans Dinner Discussion. Ce grand tableau horizontal est bâti autour d’une longue table de repas. À droite de la table apparaissent les mains d’un homme portant alliance et tenant une fleur, tandis qu’à droite ce sont les mains d’une femme dont l’une serre très fortement sa serviette. Quelques fines taches de peinture sur les poignées du chemisier nous font reconnaître une artiste. Poursuivant l’examen, on remarque derrière les fleurs posées sur la table le visage d’une jeune adolescente. Comme dans ces natures mortes inversées, c’est dans les marges que se joue le drame. Dans Cosleep at Dawn, œuvre la plus importante aux yeux de l’artiste, on voit une mère et sa fille couchées dans un lit sous une couverture rouge. L’adulte se tient sur le côté éveillée, l’enfant est endormie sur le dos, paumes grandes ouvertes. Du côté de la mère, on aperçoit au loin l’atelier et des pinceaux reposent dans un verre sur la table de nuit. Du côté de la fille, on voit un dessin d’enfant et quelques crayons pastel posés sur la couverture. En cette scène, toutes les questions relatives à la création et à la maternité semblent avoir trouvé leur place. Nikki Maloof est peintre autant que conteuse et son exposition se lit comme un véritable roman.
Du 23 novembre 2024 au 25 janvier 2025, Perrotin, 76 rue de Turenne, 75003 Paris
Huguette Caland : Les années parisiennes (1970-1987)
C’est à l’âge de 39 ans qu’Huguette Caland (1931-2019) choisit de bouleverser sa vie, quittant Beyrouth et sa vie de femme rangée pour entamer une carrière artistique en venant s’installer à Paris. Les seize ans qu’elle passe dans cette ville sont donc des années décisives et extrêmement fécondes en dépit des difficultés qu’il y eût pour elle à obtenir une reconnaissance véritable. Tableaux, dessins, caftans réalisés à la demande de Cardin, l’œuvre offre un panorama riche et vibrant de ce moment. C’est en 1972 que Caland inaugure la série des Bribes de corps, tableaux inspirés des lignes de son corps et d’autres qu’elle aime. On y reconnaît les contours de fessiers ou de membres dans des couleursflashy. Plus encore qu’au Pop, c’est à l’abstraction hard edge que l’on pense et à la façon dont celle-ci a pu s’affranchir des limitations de l’espace pictural. Caland montrait ainsi qu’il n’existe pas d’incompatibilité entre l’expression du désir, la revendication d’une liberté sexuelle et l’exigence formelle. Dans les Espaces Blancs ou dans Les Ligaments, l’artiste fabrique autrement ses corps picturaux, mettant l’accent sur la fragilité plutôt que sur l’épanouissement. Huguette Caland disait : « Mes lignes racontent une histoire de ma vie ; des gens que j’ai rencontrés, aimés, trouvés et mêmes perdus ».
Commissaire : Sylvie Patry, assistée de Léo Rivaud Chevaillier.
Du 14 novembre 2024 au 25 janvier 2025, Mennour, 47, rue Saint-André-des-Arts, 75006 Paris
Than Hussein Clark : Despair
L’exposition de Than Hussein Clark mêle images, objets, éléments de décor et de display, abolissant les distinctions entre l’art de l’exposition et celui de la performance théâtrale. À travers six cabinets, réunissant objets, photomontages et maquette, il établit des connexions entre une multitude de personnages et de récits qui mêlent histoire de l’art et mondanité, concepts et potins. « Despair », le titre de l’exposition, renvoie au film homonyme de Rainer Werner Fassbinder, lui-même inspiré de Vladimir Nabokov, et dans lequel un Dirk Bogarde schizophrène assassinait celui qu’il imaginait être son double. Clark prélève du film quelques images de Bogarde qu’il insère dans des photomontages. Parmi les autres protagonistes de l’exposition figurent au premier chef Marcel Duchamp, dont la double porte de la rue Larrey a servi de modèle à deux constructions, et Greta Garbo. Le silence de Garbo fut sous-estimé aux yeux de Clark, contrairement à celui de Duchamp que Joseph Beuys avait jugé au contraire surestimé. Les choses s’enchaînent librement, au fil des idées et des inspirations, et l’on croisera entre autres le richissime Charles de Beistegui, la banque Rothschild et Yves Tanguy. L’artiste a déclaré un jour qu’il souhaitait tracer une « trajectoire queer du linéaire ». Cette trajectoire traverse aussi les questions de lignage puisque Clark affuble le masque mortuaire de son père, récemment disparu, des vêtements du capitaine Crochet. Faut-il y voir une double allusion au vieux capitaine de Baudelaire et à une relation difficile avec un fils Peter Pan ? L’obsession du temps et la métaphore maritime se rejoignent dans deux bateaux faits à partir de deux métronomes démontés. Et la fin est un commencement.
Du 12 décembre 2024 au 1er février 2025, Crèvecœur, 5 & 7, rue de Beaune, 75007 Paris
Alun Williams : Art, War and Democracy
Alun Williams vit son travail de peintre à travers les œuvres des artistes qu’il admire, soit qu’il actualise celles-ci, soit qu’il s’empare de quelques-unes de leurs figures. Il aime aussi les ânes et les taches qu’il projette comme des présences plus ou moins bienvenues dans différents décors. Il avait, il y a quelques années, consacré une exposition entière à Thomas Paine à partir de taches présumées de son passage sur terre qu’il avait transformées en volumes symbolisant ce fondateur de la démocratie américaine. Williams, Anglais de naissance et Américain d’adoption, rend à nouveau hommage à Paine qu’il confronte à la tache de John Adams, autre héros, dans un jardin de la Nouvelle-Angleterre. Cette vision élégiaque est comme une réponse à l’inimaginable de la situation contemporaine. Mais l’artiste ne saurait en rester là, et va prendre à Van Gogh son squelette fumeur pour lui donner des ailes et en livrer une trentaine de variations auxquelles il consacre tout un mur. Cet ange de la guerre nous remet en mémoire les mots que James Joyce place dans la bouche de Stephen : « l’histoire est un cauchemar dont je ne parviens pas à m’éveiller ». Pour rendre hommage aux résistantes, Alun Williams a armé des odalisques d’Henri Matisse, et pour figurer la situation de la peinture, il a réveillé deux grands paysages dont l’un de John Constable. Ces deux véritables copies, peintes avec un soin délicat, sont toutes les deux troublées par une explosion centrale, image de guerre et de modernité en art. Alun Williams met symboliquement le feu aux chefs-d’œuvre pour s’en faire des alliés.
Du 30 novembre 2024 au 18 janvier 2025, galerie anne barrault, 51, rue des Archives, 75003 Paris