En 1876, Alessandro Torlonia, issu d’une famille auvergnate qui a fait fortune à Rome, ouvre le premier musée privé consacré à la sculpture antique Via della Lungara, dans le quartier de Trastevere. Cet ensemble avait commencé à être réuni par son père, Antonio, avant qu’il ne le complète avec de nombreuses acquisitions, notamment de la collection Giustiani en 1860, puis en 1866 de la fabuleuse villa Albani et des pièces qui y étaient exposées. Le musée présente 517 œuvres à son ouverture, avant de bénéficier d’un agrandissement de ses locaux en 1881-1883 permettant au public de contempler 620 pièces. Le lieu dut malheureusement fermer ses portes peu avant le début de la Seconde Guerre mondiale, les sculptures furent alors protégées pour des raisons de sécurité et réunies dans trois grands locaux accessibles depuis lors qu’à quelques chercheurs. Depuis longtemps, l’État italien souhaitait que cette collection soit conservée et restaurées dans les règles de l’art, mais aussi qu’elle puisse à nouveau être présentée au public. En 2014, la famille créa à cet effet la Fondation Torlonia pour gérer et diffuser la collection ainsi que procéder à la restauration des pièces. Grâce à un partenariat noué en 2016 avec la maison de joaillerie Bulgari, 92 sculptures ont ainsi pu retrouver une nouvelle jeunesse dans un premier temps. Des salles de l’ancien musée ont été transformées en Laboratoires Torlonia où des spécialistes interviennent sur les marbres. Ainsi pu être présentée en 2020-2022 l’exposition « The Torlonia marbles. Collecting masterpieces » au musée du Capitole à Rome en partenariat avec le ministère italien du Patrimoine et des Activités culturelles et du Tourisme. Pour marquer son 10e anniversaire, la Fondation Torlonia a présenté du 28 mars au 28 juin 2024 une exposition de sculptures issues de la collection conçue par Carlo Gasparri, inaugurant ainsi l’Antiquarium dans les écuries de la Villa Albani Torlonia. Au sein de la dizaine d’œuvres, choisies parmi celles récemment restaurées par les Laboratoires Torlonia, figurait un spectaculaire groupe constitué d’un Eros sur un char tiré par des sangliers, conservé à l’origine dans la Villa Albani. Cet Antiquarium peut être considéré comme une préfiguration du futur musée que pourrait ouvrir la Fondation Torlonia à Rome dans les années qui viennent.
Le musée du Louvre a pris le relais en présentant l’exceptionnelle exposition « Chefs-d’œuvre de la collection Torlonia », ouverte jusqu’au 6 janvier 2025, la première de cet ensemble hors d’Italie. Le parcours se déploie en partie dans les appartements d’été d’Anne d’Autriche tout juste magnifiquement restaurés, où étaient accueillies les collections permanentes de sculpture antique depuis la fin du XVIIIe siècle et la naissance du musée du Louvre. La manifestation associe 30 pièces appartenant au musée parisien aux 60 venant de Rome pour offrir un panorama unique de la sculpture antique. « Le parcours de la nouvelle exposition Torlonia se déroule à travers des genres (comme le portrait), des modalités de production (comme les copies des originaux grecs), des périodes notables de la fortune de l’art grec à Rome (comme l’arrivée de modèles néo-attiques ou hellénistiques), des "genres" et des typologies spécifiquement romains (comme les sarcophages), une plongée dans le goût hellénisant du IIe siècle apr. J.-C. (la villa romaine d’Hérode Atticus), et enfin quelques allusions au collectionnisme d’art antique, qui nouent des liens avec les deux versions italiennes de l’exposition », écrit dans le catalogue le commissaire associé Salvatore Settis. L’exposition s’ouvre avec une Statue de bouc, dite Il Caprone, une œuvre du début du IIe siècle ap. J.-C restaurée au XVIIe siècle par Le Bernin, qui lui a ajouté sa tête très expressive. Se déploient ensuite des séries de portraits, dont celui de Lucius Verus (entre 160 et 169 ap. J.-C.), le Buste de femme, dit Aquilia Severa (début du IIIe siècle ap. J.-C.), le Portrait de jeune femme, dit La Fanciulla di Vulci(milieu du Ier siècle av. J.-C.) d’une extrême délicatesse, ou encore le Portrait d’homme âgé, dit Euthydème de Bactriane(vers 200 av. J.-C.) à l’extraordinaire trogne. Ces pièces se déploient sous les ors des sublimes plafonds des appartements d’été d’Anne d’Autriche. L’exposition comprend aussi le seul bronze de la collection, la Statue de Germanicus, découverte lors de fouilles commanditées par Alessandro Torlonia entre 1874 et 1875 dans le domaine « degli Arci », en Sabine. Les vestiges en métal ont été complétés par du plâtre recouvert de patine pour offrir une correspondance chromatique. L’exposition comprend aussi un unique relief montrant le Portus Augusti (début du IIIe siècle ap. J.-C.) figurant un navire de commerce transportant du grain, un œil contre le mauvais œil, un char tiré par des éléphants ou encore un aigle. Le parcours s’achève dans la cour du Sphynx où sont confrontés les antiques du Louvre et ceux de la collection Torlonia, tel ce Sarcophage à colonnes figurant les travaux d’Hercule et couvercle avec couple de défunts allongés. Ce dernier fait écho à un autre sarcophage décoré d’une frise représentant les travaux d’Hercule, marbre originaire d’Asie Mineure importé à Rome qui entra dans la collection de Giovanni Torlonia vers 1820.
Après cette exceptionnelle exposition parisienne, la collection Torlonia sera présentée outre-Atlantique, d’abord à l’Art Institute of Chicago (15 mars-29 juin 2025), puis au Kimbell Art Museum à Fort Worth (14 septembre 2025-25 janvier 2026), et enfin au Musée des beaux-arts de Montréal (14 mars 2026-19 juillet 2026). Cette exposition itinérante, intitulée « Myth and Marble : Ancient Roman Sculpture from the Torlonia Collection », comprendra 58 sculptures dont 24 récemment restaurées. De nouvelles merveilles.
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« Chefs-d’œuvre de la Collection Torlonia », jusqu’au 6 janvier 2025, Musée du Louvre, rue de Rivoli, 75001 Paris
Pour les fêtes de fin d’année, le musée du Louvre accueille les visiteurs en nocturne tous les soirs jusqu’à 21h, du 26 décembre 2024 au 4 janvier 2025 (excepté le 31 décembre et le 1er janvier, jours de fermeture du musée)