Croissance, parce qu’au cours des deux dernières décennies, le marché de l’art a connu des fluctuations importantes d’une année sur l’autre, mais la valeur totale des transactions sur la période n’a au final augmenté que de 10 %. Dans le même temps, le chiffre d’affaires global du marché du luxe a triplé et le nombre de personnes à haut pouvoir d’achat dans le monde (les HNWI, High Net Worth Individuals) a doublé. Ces écarts soulignent la nécessité vitale pour le marché de l’art de trouver des relais de croissance, en s’engageant dans deux directions.
La première, la plus immédiate, repose sur la consolidation au sein du marché de l’art, avec des regroupements entre acteurs (comme l’acquisition récente de Gooding & Company [maison de vente aux enchères de voitures anciennes] par Christie’s) ou des collaborations visant à créer des synergies et à exploiter des complémentarités. Je suis convaincu que ces mouvements vont s’accélérer dans les années à venir.
La seconde, plus stratégique mais aussi plus complexe, consiste pour ces acteurs à élargir leur champ d’action au-delà des frontières traditionnelles du marché de l’art. Certains exemples existent déjà, comme le développement rapide au cours des dix dernières années de l’art lending (crédits adossés à des œuvres d’art de collections privées). D’autres opportunités n’ont pas encore donné leur pleine mesure et restent à approfondir, telles que les potentialités offertes par les innovations technologiques sous leurs différentes formes (blockchain, NFT [jetons non fongibles], intelligence artificielle), voire les perspectives d’intégration entre le marché de l’art et l’industrie du luxe – deux secteurs qui présentent cependant d’importantes différences de nature.
Ouverture, parce que face à des sociétés occidentales de plus en plus polarisées et sujettes aux dérives populistes, les acteurs culturels ont un rôle sociétal essentiel à jouer. L’accès au savoir, la démocratisation et l’éducation artistique sont déjà au cœur des priorités des musées, mais elles doivent devenir plus centrales pour les acteurs du marché de l’art.
Cette évolution est d’autant plus souhaitable que le marché de l’art est souvent perçu comme fermé sur lui-même et (à tort) réservé à une minorité de privilégiés, ce qui en fait une cible idéale pour les critiques anti-élites. C’est pour cette raison que nous avons lancé, il y a trois ans, le Christie’s Fund for the Art, destiné à soutenir des projets visant à élargir l’accès à l’art et à ses métiers. Ces efforts doivent être amplifiés, et j’aimerais que les artistes, les galeries, les maisons de ventes et les foires puissent travailler ensemble à des initiatives coordonnées et ambitieuses, capables de toucher des publics plus diversifiés. C’est à la fois notre responsabilité et notre intérêt.
Le développement durable, enfin, est une priorité partagée avec tous les autres secteurs économiques, mais pour laquelle le marché de l’art doit encore progresser. En dépit des actions méritoires de la Gallery Climate Coalition, force est de reconnaître que les engagements des professionnels en la matière restent trop souvent non contraignants.
Il est temps d’aller vers des engagements plus précis, suivis et vérifiés de manière indépendante, et accompagnés d’une communication transparente. Cela implique de mobiliser l’ensemble de la chaîne de valeur : fabrication et réutilisation des caisses de protection des œuvres, recours à des modes de transport moins polluants, optimisation de la production et de la distribution des catalogues d’exposition, etc. Chez Christie’s, nous avons pris des objectifs contraignants de réduction de nos émissions de carbone et nous nous sommes engagés dans le cadre de la Science Based Targets Initiative (SBTi), une organisation indépendante et respectée.
Je suis conscient qu’en ces temps d’incertitudes économique et politique, certaines priorités à court terme peuvent sembler plus urgentes. Mais c’est précisément dans ces moments d’instabilité que des initiatives significatives et structurelles peuvent avoir le plus d’impact. En nous concentrant dès aujourd’hui sur ces priorités, nous pouvons poser les bases d’un marché de l’art plus résilient, plus inclusif et tourné vers l’avenir.