L’exposition « Elles, les élèves de Jean-Jacques Henner » réunit, jusqu’au 28 avril 2025, plus de 80 peintures, dessins, lettres et photographies d’une dizaine de femmes artistes de la seconde moitié du XIXe siècle. L’idée de cette exposition, fruit de trois années de recherche, est née à l’occasion de la crise due au Covid-19. « Pendant la pandémie, j’ai été contactée par beaucoup de chercheurs qui travaillaient sur les artistes femmes », confie Maëva Abillard, laconservatrice du musée.
Jean-Jacques Henner est sollicité dès 1874 par son ami artiste Charles Auguste Émile Durant, dit Carolus-Duran, pour enseigner dans l’atelier des dames que ce dernier a fondé. D’abord situé sur le boulevard du Montparnasse, l’atelier déménage quai Voltaire en 1877, vingt ans avant que les femmes ne soient enfin autorisées à accéder aux cours théoriques de l’École des beaux-arts de Paris. Les étudiantes « sont issues d’un milieu aisé et quand elles arrivent à l’atelier des dames, elles ont déjà un très bon niveau », fait remarquer le commissaire à propos de ces élèves. Le prix mensuel pour les leçons collectives était de 100 francs, soit un peu moins que le salaire mensuel d’un ouvrier, selon Maëva Abillard. Comme l’exposition le met en évidence, les femmes sont formées au portrait, le genre étant alors considéré « convenable » et « lucratif », car il leur permettait de représenter leur cercle social.
Jean-Jacques Henner enseigne à l’atelier des dames jusqu’en 1889, l’année où douze de ses élèves participent à l’Exposition universelle de Paris. Puis, en 1900, il devient président du jury de peinture au Salon, apportant tout son soutien à ses anciennes élèves.
Le projet de recherche de Maëva Abillard consistait à chercher dans les livrets du Salon les anciennes élèves de Jean-Jacques Henner qui ont y exposés. Après avoir réussi à trouver 152 noms, elle s’est ensuite donnée pour tâche de localiser les œuvres.
Se focalisant sur une dizaine d’artistes, l’exposition montre combien l’atelier des dames a attiré aussi bien des élèves françaises qu’étrangères. Elle réunit ainsi des œuvres de la peintre suisse-allemande Ottilie W. Roederstein et de l’Anglaise Dorothy Tennant, à côté des tableaux, entre autres, de Madeleine Smith, Marie Petiet et Marie Cayron-Vasselon.
Quant à l’Italienne Juana Romani, qui a posé en tant que modèle pour Carolus-Duran et Jean-Jacques Henner, elle a probablement reçu des cours dans leurs propres ateliers respectifs, son rang social ne lui permettant pas de s’acquitter des sommes requises pour suivre les cours de l’atelier des dames.
Jean-Jacques Henner a abordé plusieurs thèmes dans son enseignement, comme celui de Marie-Madeleine, un sujet important pour l’artiste connu pour son usage du flou. L’espace à l’étage est d’ailleurs dédié aux variations autour de Marie-Madeleine ; de multiples tableaux et œuvres préparatoires du maître côtoient ceux réalisés par ses élèves, témoignant ainsi de son influence.
L’inspiration directe de Jean-Jacques Henner sur Madeleine Smith est visible dans une autre salle où on découvre Portrait de Madame Séraphin Henner (1902) par le maître représentant sa belle-sœur, ainsi que Portrait de ma mère (1903) par son élève. Tous les deux dépeignent une femme âgée, assise, de profil, sur un fond bleuté. Jean-Jacques Henner a même corrigé le tableau de Madeleine Smith en vue de sa présentation au Salon de 1903, un an après l’exposition au Salon de son propre tableau.
Selon Maëva Abillard, les deux artistes partageaient une relation amoureuse : « ils avaient un projet de mariage qui n’a pas abouti parce qu’il y avait 25 ans d’écart entre eux, et ses neveux s’y sont opposés car les œuvres allaient partir de la famille. »
Une autre salle est consacrée aux amitiés qui se sont tissées entre les élèves. Ottilie W. Roederstein a ainsi réalisé vers 1890 un Portrait de Madeleine Smith au chevalet peignant Jeanne d’Arc, tandis que Madeleine Smith a fait poser l’artiste suisse-allemande – qui était sa professeure et son amie – en armure pour son tableau Jeanne d’Arc (1890-1891).
Les descendants des artistes femmes présentées dans l’exposition ont répondu favorablement aux demandes de prêt, enthousiastes à l’idée de partager avec le public le travail de leurs aïeules. Quelques œuvres sont même exposées en France pour la première fois, comme La Pièta (1897) par Ottilie W. Roederstein, où l’artiste s’empare d’un sujet ambitieux abordé avant elle par des artistes masculins tels qu’Hans Holbein le Jeune, Jean-Jacques Henner ou Franz von Stuck.
Cette exposition devrait inciter d’autres chercheurs à se plonger dans l’histoire de ces artistes femmes, espère Maëva Abillard. Elle souhaiterait que le musée national Jean-Jacques Henner devienne un centre de ressources sur les élèves artistes. Cette manifestation a pour but, selon elle, de poser les bases afin que d’autres chercheurs approfondissent le sujet.
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« Elles. Les élèves de Jean-Jacques Henner », jusqu’au 28 avril 2025, Musée national Jean-Jacques Henner, 43, avenue de Villiers, 75017 Paris