Ron Gorchov
Ron Gorchov (1930-2020) fut une grande figure de l’abstraction américaine. Le shaped canvas était une option commune à des artistes aux visées et aux programmes divers mais partageant l’idée d’unir peinture et sculpture. Quand il met au point ses tableaux en forme de selles, Ron Gorchov veut transformer la façon dont la peinture se présente à nous, ou celle dont nous entrons dans la peinture. Sur un châssis articulé dans sa partie supérieure et inférieure, il tend la toile pour obtenir une surface concave. Il couvre ensuite la surface d’un apprêt blanc avant d’y appliquer un fond de couleur d’une manière très fluide. Sur ce fond, il peint ce qu’il nomme des marques, soit des signes ou formes biomorphiques, d’une manière intuitive. La quantité de marques ne dépasse jamais le nombre de trois. La toile brute est visible sur les bords et l’apprêt transparaît en plus d’un endroit. La peinture est portée en avant dans l’espace sans que la matérialité du tableau ne soit niée ni les étapes du travail dissimulées. C’est comme si le tableau se soulevait du mur et prenait son envol à la manière d’un nuage. Les marques ne sont pas véritablement des motifs mais des points de fixation et d’accès. Chez Gorchov, la volonté de dépassement du tableau n’est pas contredite par la reconnaissance de la matérialité de celui-ci.
Du 24 janvier au 15 mars 2025, Galerie Mitterrand, 95, rue du Faubourg Saint-Honoré, 75008 Paris

Vue de l’exposition « Dorothea Rockburne » chez Ceysson & Bénétière, Paris. Courtesy de l’artiste et de la galerie
Dorothea Rockburne
C’est la première exposition personnelle de Dorothea Rockburne à Paris depuis celle qui s’est tenue à la galerie Sonnabend en 1971, à l’orée de sa carrière. Depuis un peu plus d’un demi-siècle, celle-ci n’a cessé d’innover, guidée par son goût pour les mathématiques, la section d’or et une forme de spiritualité. C’est au cours de ses études au Black Mountain College dans les années 1950 que Rockburne fait la découverte de la théorie des nœuds auxquelles elle va vouer une véritable passion et s’en inspirer librement pour bon nombre de ses compositions. Les Trefoils (Trèfles) sont faits de panneaux de stratifiés superposés de différentes dimensions, alignés, avec parfois l’un d’eux disposé en oblique. Chacun des panneaux est peint en jaune, brique, bleu foncé, noir ou blanc ou laissé brut. La peinture employée permet de varier les effets, de la matité à la brillance de l’émail. Sur chacune de ces superpositions qui rappellent le constructivisme, de minces fils de cuivre dessinent des cercles concentriques qui se coupent ou se rejoignent en surface ou semblent le faire derrière un plan de stratifié. Ces tracés suggèrent un mouvement d’ondes, une percée vers le cosmos. La dimension cosmique est manifeste dans les collages faits à partir de peintures sur feuilles épaisses découpées et recomposées.
À côté de ces œuvres d’une extrême délicatesse, la présentation de Reflections, une de ses premières sculptures, a de quoi surprendre. Celle-ci se compose de deux pneus superposés et enserrés par une corde tournée en huit. Le centre du pneu supérieur est fermé par un miroir circulaire et, sur celui-ci, sont posées deux chaises de bistrot noires empilées l’une à l’envers de l’autre, avec également un miroir circulaire en leur milieu. Par cette sorte de croisement de folk art et de minimalisme, Dorothy Rockburne poursuit ses spéculations d’origine mathématique avec les objets les plus triviaux.
Du 29 janvier au 15 mars, Ceysson & Bénétière, 23, rue du Renard, 75004 Paris

Vue de l’exposition « Marc Bauer : l’Avènement » à la Galerie Peter Kilchmann, Paris, 2025. Photo : Hafid Lhachmi, ADGP, Paris, 2025. Courtesy de l’artiste et de la galerie Peter Kilchmann Zurich/Paris
Marc Bauer : l’Avènement
Selon le dictionnaire, « avènement » peut se dire de la venue d’un messie, de l’accession au pouvoir de quelqu’un ou de la venue d’un nouvel ordre de choses. L’interprétation de ce titre est aussi ouverte que le temps qu’il désigne est incertain. Comme le plus souvent dans son œuvre, Marc Bauer a recours à l’histoire pour construire sa vision du présent. L’exposition procède à un montage de différentes séries qui ensemble font comme un flux de conscience. Un ensemble de grands dessins, dont certains répétés avec des variations, montre des jeunes gens seuls ou en couple dans des intérieurs. Mouvements suspendus, étreintes, et quelques expressions qui vont de la torpeur à l’hébétude. Dans ces dessins que l’on pourrait dire d’observation, s’ajoutent des éléments qui nous entraînent vers un espace onirique. Complétant le décor ou participant de ce flux d’images, sont accrochés deux grands triptyques, faux jumeaux, qui montrent le ciel de Paris rouge et orangé en deux jours distincts. Ces ciels sont encombrés, pollués bien évidemment, mais diffusent une relative sérénité. Le rapport à l’histoire est manifesté dans deux séries. L’une d’elles présente les portraits de quelques grandes résistantes et martyres entourés chacun d’une sorte de mandala très coloré. L’artiste semble ainsi suggérer le pouvoir bienfaisant que le souvenir de ces figures admirables pourrait avoir sur nous. Une autre série illustre à la façon de croquis les rêves de quelques Berlinois sous le IIIe Reich tels que recueillis alors par Charlotte Beradt. Enfin, mêlant fiction et réalité, une série montre un Paris désert, souvenir du confinement ou futur état de siège, commenté par un auteur anonyme. L’avènement tel que dépeint par Marc Bauer offre bien des perspectives.
Du 17 janvier au 8 mars 2025, Galerie Peter Kilchmann, 11-13, rue des Arquebusiers, 75003 Paris

Vue de l’exposition « Minia Biabiany : Le Ciel aux yeux-racines » chez Imane Farès, Paris. Photo : Tadzio. Courtesy Imane Farès
Minia Biabiany : Le Ciel aux yeux-racines
Minia Biabiany ne craint pas de s’affirmer artiste et pédagogue. Sa façon d’aborder les questions postcoloniales et environnementales prend forme à partir d’investigations tant esthétiques que scientifiques, et superpose à un imaginaire collectif le sien propre. « Le Ciel aux yeux racines » est construit à partir d’une constellation inventée par elle, mais qui s’inspire de la vision astronomique des Kali’nas. Sur la carte du ciel de la Guadeloupe au moment de l’exposition, elle a dessiné une figure de grenouille pour relier des étoiles entre elles. Les étoiles qui ont servi à former cette constellation imaginaire ont inspiré des céramiques et celles-ci ont été suspendues par des cordes tressées en différents points de la galerie et au-dessus de calebasses remplies d’eau. Les cordes sont faites de feuilles de bananier et ont été tressées selon une méthode traditionnelle par des proches de l’artiste. La grenouille céleste dessine un parcours et les cordages font le lien avec la réalité quotidienne de la Guadeloupe. D’autres suspensions parsèment le parcours. Ce sont des enfilades de formes en bois brûlé représentant des figures animales ou des formes végétales caractéristiques de l’île. La fleur de bananier est l’élément dominant. Celle-ci permet d’évoquer le scandale de la chlordécone (ce pesticide qui a durablement contaminé la Guadeloupe et la Martinique), mais elle est aussi dotée de vertus curatrices et fonctionne comme une image rassembleuse. Minia Biabiany travaille sur ces différents niveaux de signification en accordant une importance primordiale au tressage pour ce qu’il porte de tradition et de puissance métaphorique. Au sous-sol est projeté un bref film sensuel et poétique, alternant vues d’océan et tracés de dessins sur ardoise. Des phrases défilent sur l’écran. On en relève une : « je prends la forme des émotions ».
Du 25 janvier au 15 mars 2025, Imane Farès, 41, rue Mazarine, 75006 Paris