Rayan Yasmineh : Rencontre avec le zéphyr
Sous un titre que l’on croirait sorti d’un conte, « Rencontre avec le zéphyr », Rayan Yasmineh a construit son exposition comme une méditation sur la porosité des cultures et des identités. Véritable voyage à travers le temps et l’espace, elle croise l’esthétique et l’histoire. Pour marquer l’étendue du champ couvert, il a peint une représentation de la France au XIIe siècle par un géographe arabe et une représentation du Proche-Orient par un géographe français au XVIIe siècle. Deux grands tableaux interrogent plus directement l’histoire. 1258 dépeint un calife ou haut dignitaire arabe avec derrière lui une vue de Bagdad mise à sac par des Mongols soutenus par un hélicoptère. Judith montre une jeune femme en vêtements orientaux, tenant une épée. Par la fenêtre, on aperçoit derrière elle des soldats en tenue de la Renaissance. Tant Judith que le calife sont des figures d’aujourd’hui, comme on le remarque à de nombreux anachronismes vestimentaires. Tous deux désœuvrés, ils semblent moins incarner leurs modèles qu’être plongés dans une réflexion mélancolique. Si 1258 rapproche invasions mongoles et guerres d’Irak, de quoi rapprocher le siège de Béthulie et l’héroïne de l’Ancien Testament, symbole de justice ? À côté de ce dernier tableau, est accroché le diptyque sur bois 27 novembre 1948/263077 qui reproduit un passeport palestinien et un devoir d’écolier sur l’empire colonial français tirés d’archives familiales. Sur d’autres murs, des photos de tapis persans grandeur nature ont servi à faire un papier peint et, sur lui, ont été accrochés des tableaux reproduisant des scènes inspirées de miniatures irakiennes du XIIIe siècle ou inspirées de mille-fleurs renaissance. C’est une autre façon d’évoquer le dialogue des cultures et de poser la question de la figure et du fond.
Du 1er février au 1er mars 2025, Mor Charpentier, 18, rue des Quatre Fils, 75003 Paris

Vue de l’exposition « Mary Stephenson : Mary ! Go Round » chez White Cube Paris. © de l’artiste. Photo : © White Cube (Theo Christelis)
Mary Stephenson : Mary ! Go Round
Mary Stephenson peint dans des grands formats des éléments d’architecture ou de paysages sur des fonds atmosphériques pâles et, dans des petits formats, des intérieurs ou des objets. On n’y voit aucune figure. Quelque chose la rattache à une certaine peinture métaphysique, moins Giorgio De Chirico que Joseph Sima pour la faculté qu’avait celui-ci à faire communiquer différents niveaux de réalité. 5 Swings est bâti autour d’une grande construction rouge, une architecture que l’on dirait inspirée d’un pliage en carton avec quelques angles aigus. Elle se tient sur un sol bleu qui monte très haut, ne laissant qu’une mince ligne pour suggérer le ciel. À l’intérieur ou devant cette construction, figurent trois cubes suspendus par des fils, et d’autres fils sortent d’angles cachés par les cloisons. On lit que l’artiste a voulu se représenter, elle et ses quatre frères et sœurs, sur des balançoires. Il n’est pas besoin de le savoir pour éprouver la prégnance d’un souvenir ou d’un rêve.
Mary Stephenson dit de ses tableaux qu’ils sont des portraits, et à propos de Red, And Yellow, And Blue, elle parle de l’exorcisme qu’a représenté son exécution. Peint à la suite de la disparition d’un être cher, « cette expérience de chagrin s’est résolue en trois couleurs primaires sur la toile ». Dans un espace vaporeux, trois formes arrondies, rouge, jaune et bleu, y flottent ou y sont posées. Assez définies et modelées pour que leurs différences de tailles suggèrent trois plans différents, pas assez pour qu’on y reconnaisse des objets quelconques. Ce sont trois couleurs dotées d’une vie propre, ni taches, ni volumes. Mary Stephenson les a peintes comme elle les a vues, ou comme elles se sont révélées à elle au cours du travail, et par là elle a su partager quelque chose de ses sentiments.
Du 24 janvier au 22 février 2025, White Cube Paris, 10 avenue Matignon, 75008 Paris

Vue de l’exposition « Nick Doyle : Business, Pleasure, Pressure, Release » chez Perrotin Paris. Photo : Claire Dorn. Courtesy de l’artiste et Perrotin
Nick Doyle : Business, Pleasure, Pressure, Release
Nick Doyle a fait du denim la matière première de son travail et il s’en sert aussi bien pour composer des tableaux à la manière de marqueteries que pour en recouvrir ses objets ou ses machines. Il explique l’avoir choisi pour sa valeur symbolique, comme un concentré de la culture et de l’histoire américaine, des temps de l’esclavage à nos jours. Doyle a un goût affirmé pour la narration et pratique le démontage ironique et grinçant des stéréotypes de la masculinité. « Business, Pleasure, Pressure, Release » tourne entièrement autour des contraintes et plaisirs d’une vie de bureau sans âge et passablement déjantée. L’élément central est une installation immersive et participative qui prend la forme d’un bar-cafétéria curieusement équipé. Les murs sont tapissés de panneaux isolants gris et, sur ces panneaux, sont accrochés des photos noir et blanc montrant différentes scènes de domination en costumes et tailleurs gris dans l’espace du bureau. Les visages sont coupés par le cadre ou masqués par des sacs en papier. Sur le comptoir, traîne un escarpin à talon haut, des menottes et des pinces à sein. Parmi les produits vendus au bar, on trouve les slips usagés de l’artiste sous cellophane, occasion de glisser du fétichisme sexuel au fétichisme artistique, à moins que les deux ne se recoupent. Non loin de cette installation, l’invention machiniste de Doyle se concrétise par une cravate qui ondule tel un serpent devant un soulier féminin, un meuble à classeurs bas leur servant de socle. Les tableaux en denim offrent une version plus soft et allusive des mêmes thèmes : un haut de costume masculin qui glisse dans une broyeuse à papier, une cravate prise dans le rouleau d’une machine à écrire, une étagère de dossiers avec une coupe de cocktail sur un bord de tablette. Performance professionnelle et débauche comme un jeu d’enfants ou peut-être le commencement d’une éducation.
Du 1er février au 8 mars 2025, Perrotin, 76, rue de Turenne, 75003 Paris

Vue de l’exposition « Terence Gower : Three Installations » chez Andréhn-Schiptjenko à Paris. Photo : ©Alexandra de Cossette. Courtesy de l’artiste et de la galerie Andréhn-Schiptjenko
Terence Gower : Three Installations
Terence Gower privilégie dans son travail l’enquête et l’interprétation sur des formes et des théories ayant marqué le modernisme, avec une prédilection pour l’architecture. Les trois installations qu’il présente diffèrent dans leur conception, mais sont unies par des liens étroits. La plus récente est faite de sculptures très « minimal art » inspirées de la forme des escalators, symbole de l’homme en mouvement depuis la deuxième moitié du XXe siècle. Pour justifier son intérêt pour cet objet, Gower a affiché le récit en quelques feuillets A4 d’une excursion dans une forêt autrichienne au terme de laquelle le narrateur découvre un escalator abandonné, véritable épiphanie.
Avec Gruen in Tehran, suite de collage légendées, nous est présenté Victor Gruen, inventeur du mall, ou centre commercial, qui, à sa façon, révolutionna l’urbanisme. Invité au début des années 1960 par le Chah d’Iran pour transplanter le modèle californien à Téhéran, Gruen a pu y découvrir le Bazar de la ville qui l’avait autrefois inspiré. Pour figurer les différentes superpositions culturelles, Gower a combiné des formes géométriques que Gruen dessinait à partir des mouvements de population pour composer une peinture murale qui évoque la céramique islamique. Les encres qui ont servi à la peindre ont toutes été achetées au Bazar de Téhéran. Enfin, Free Association est une suspension de formes en aluminium teintées reproduisant des dessins tracés librement par l’artiste. En exposant ainsi son inconscient sous forme d’une accumulation encombrante, non loin des visions de Gruen, en rattachant un récit personnel aux escalators qui nous ramènent aux centres commerciaux, Terence Gower verrouille parfaitement son projet et met en jeu sa propre position.
Du 1er février au 15 mars 2025, Andréhn-Schiptjenko, 56, rue Chapon, 75003 Paris