Plus de 3 000 personnes ont signé une lettre ouverte demandant à Christie’s New York d’annuler une prochaine vente en ligne consacrée uniquement à l’art créé grâce à l’intelligence artificielle (IA), la première du genre pour une grande maison de vente aux enchères. Les pétitionnaires craignent que les programmes utilisés pour créer certaines œuvres numériques génératives soient entraînés à partir d’œuvres protégées par des droits d’auteur, exploitant ainsi le travail d’artistes bien réels.
La lettre en ligne a commencé à circuler samedi 8 février, le lendemain de l’annonce de la vente de Christie’s baptisée « Augmented Intelligence ». Cette vente, qui pourrait rapporter plus de 600 000 dollars, comprend des œuvres d’artistes tels que Refik Anadol, Harold Cohen, Holly Herndon et Mat Dryhurst, Alexander Reben et Claire Silver. En plus de vingt lots, la vacation couvre cinq décennies. Environ un quart des numéros sont des œuvres numériques telles que des jetons non fongibles (NFT), selon Christie’s. Parmi les autres œuvres mises aux enchères figurent des caissons lumineux et des écrans, ainsi que des sculptures, des peintures et des gravures. Les enchères débuteront le 20 février et se poursuivront jusqu’au 5 mars.
Au moment de la rédaction de cet article, la lettre demandant à Christie’s d’interrompre la vente comptait 3 576 signatures. Les auteurs contestent en grande partie les modèles d’IA utilisés pour créer certaines des œuvres de la vente, qui, selon eux, ont été programmés en se basant sur des œuvres protégées par le droit d’auteur, sans l’autorisation de leurs créateurs.
« Ces modèles, et les entreprises qui les proposent, exploitent les artistes humains, en utilisant leur travail sans autorisation ni paiement pour construire des produits d’IA commerciaux qui leur font concurrence, peut-on lire dans la lettre. Votre soutien à ces modèles, et aux personnes qui les utilisent, récompense et encourage le vol massif du travail d’artistes humains par les entreprises d’IA ».
L’utilisation d’œuvres d’artistes protégées par des droits d’auteur pour former des modèles d’IA générative qui alimentent des programmes tels que Midjourney, Stable Diffusion et Dall-E a donné lieu à des poursuites judiciaires contre les entreprises technologiques qui ont créé ces logiciels. Les artistes affirment que leurs œuvres ont été utilisées par les programmes d’IA pour former des modèles sans leur autorisation ni leur assurer une compensation financière. Les entreprises de technologie se défendent en invoquant le « fair use », une réglementation américaine qui permet dans certains cas d’utiliser sans autorisation du matériel protégé par des droits d’auteur.
« Pourquoi Christie’s cautionne-t-elle ces modèles en aidant à vendre ces œuvres pour des dizaines, voire des centaines de milliers de dollars, alors que ces modèles conduisent directement à l’appauvrissement de tant d’artistes qu’ils ont volés ? », s’indigne Ed Newton-Rex, directeur général de Fairly Trained, une association de défense des droits des artistes.
La lettre est adressée aux spécialistes de l’art numérique de Christie’s, Nicole Sales Giles et Sebastian Sanchez, qui organisent la vente aux enchères. « Les artistes représentés dans cette vente ont tous des pratiques artistiques pluridisciplinaires solides et existantes, dont certaines sont reconnues dans des collections muséales de premier plan, a déclaré Un porte-parole de la maison de vente aux enchères à The Art Newspaper. Les œuvres présentées dans cette vente aux enchères utilisent l’intelligence artificielle pour enrichir leur travail ».
Sarp Kerem Yavuz, un artiste dont la pratique intègre parfois l’IA et dont les œuvres figurent dans la vente de Christie’s, estime quant à lui que l’idée que l’art généré par l’IA est un vol repose sur une mauvaise compréhension de l’ensemble des données utilisées dans ce type de travail.
« La plupart des images générées par l’IA résultent de la combinaison de millions – littéralement des millions – d’images, ce qui signifie qu’aucun artiste ne peut prétendre que l’image d’une prairie, d’un chevalier héroïque, d’un chat ou d’une fleur est basée sur sa création spécifique », écrit-il dans un communiqué. Et d’ajouter : « Les images générées par l’IA imitent l’inspiration humaine à bien des égards : elles sont simplement plus efficaces pour traiter les informations. »
À mesure que la technologie de l’IA progresse et s’ancre davantage dans la vie quotidienne, les législations sur le droit d’auteur et l’utilisation équitable peinent à s’adapter. Le mois dernier, l’Office américain du droit d’auteur a décidé que les artistes pouvaient protéger les œuvres qu’ils avaient créées à l’aide d’outils d’IA, mais que le « matériel purement généré par l’IA » ne pouvait bénéficier d’aucune protection. En France, le sujet de l’IA fait précisément l’objet d’un important sommet international pour l’action sur l’Intelligence artificielle depuis le 6 février…