Oshay Green : No chance
Noir de Dallas, autodidacte, Oshay Green aime mentionner comme premières inspirations le jazz des années 1960-1970, avant tout dans sa composante free. Il travaille essentiellement avec des objets et des matériaux de récupération qu’il arrange ou agence sculpturalement ou picturalement. « No Chance » est le fruit d’une résidence à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis) et d’une collecte d’encombrants qui en est résulté. L’artiste s’empare de différents matériaux avec le feu et l’énergie d’un expressionniste abstrait, et les titres de ses œuvres nomment un monde marqué par la spiritualité et le rituel.
Avec quelques planches qu’il cloue sur une palissade et enduit de goudron (The Son of the Morning), il fait apparaître une crucifixion sans effacer la réalité des matériaux, soit la définition de l’image poétique. Un épais matelas éventré par une large entaille, couvert de goudron et fixé sur deux planches au mur (God), devient une imposante figure matricielle, bien loin des rêves sur l’édredon de Rauschenberg.
Dans un entretien, Oshay Green dit à propos des artistes noirs : « Il n’y a plus dans notre intériorité que le trauma et la joie ». On parole (« liberté conditionnelle » en américain) offre un bon exemple de ce dépassement des logiques binaires. Il s’agit d’une sorte de socle enrobé de film PVC noir qui porte deux cages à oiseaux superposées, tordues et entrouvertes, ressemblant à une sculpture moderniste. La libre improvisation, l’acte artistique viennent avant la charge politique.
Dans la plus petite salle de la galerie, l’artiste a mis en place un groupe sculpté envahissant, avec des bustes de mannequins de vitrines blancs et noirs et quelques rares membres associés, fixés sur de larges tasseaux qui les font tenir debout. Ces fragments de corps explosent en une danse qui nous rappelle celle des bâtons d’Oskar Schlemmer.
Du 6 février au 22 mars 2025, Dvir Gallery Paris, 13, rue des Arquebusiers, 75003 Paris

Vue de l’exposition « Georges Adéagbo : Ma personne de Georges Adéagbo » chez Mennour. Courtesy Mennour
Georges Adéagbo : Ma personne de Georges Adéagbo
Artiste tard révélé à lui-même, mais aussitôt célébré internationalement, Georges Adéagbo expose depuis une trentaine d’années ce qu’il nomme des Constellations, assemblages muraux ou installations constituées d’objets, de récits peints, et de réflexions rédigées en écriture cursive sur des feuilles A4. « Ma Personne de Georges Adéagbo » présente dans une première partie une série d’œuvres dans lesquelles l’artiste évoque ses participations à quelques grandes manifestations internationales, de Venise à Cassel, en passant par Rome, Stockholm ou Shanghai. C’est l’occasion de témoigner sur ce que ces expositions ont pu lui apprendre. La présence de deux livres consacrés au Tibet devant une œuvre évoquant la Biennale de Shanghai en 2016, vient rappeler que le temps des colonies n’est pas clos.
Dans la deuxième partie de l’exposition, Georges Adéagbo construit un dialogue avec les surréalistes. Avec eux et à travers eux, il revoit la question des échanges et des emprunts artistiques entre France et Afrique, mais s’affirme aussi comme un héritier de Breton et du hasard objectif. C’est une entreprise de reconnaissance en un double sens d’exploration et de gratitude. La promenade aux Puces représente une étape essentielle du travail de l’artiste, et celui-ci ne craint pas de déployer un tapis au sol pour exposer ses trouvailles. À côté d’objets et de quelques ouvrages fondateurs et définitifs, il fait figurer aussi de fort mauvais livres dont les titres ont pu retenir son attention. Pour saluer Giacometti ou Brancusi, il a fait exécuter par des artisans béninois des sculptures inspirées de leurs œuvres.
Du 6 février au 20 mars 2025, Mennour, 6, rue du Pont de Lodi, 75006 Paris. Commissariat : Emma-Charlotte Gobry-Laurencin et Christian Alandete. Avec la complicité d’Atlantic Art Space, par Marie-Sophie Eiché-Demester, et de Stephan Koehler

Vue de l’exposition « Anne-Laure Sacriste : River of Shadows » chez Atrata by Gil Presti. Courtesy Atrata by Gil Presti
Anne-Laure Sacriste : River of Shadows
Tout autant qu’aux grands tableaux de musées, Anne-Laure Sacriste s’intéresse aux histoires que l’on trouve derrière eux et en particulier celles qui lient l’artiste à son modèle. La copie de toiles de maîtres est chez elle un acte de lecture et d’interprétations. « River of Shadows » voit la rencontre d’œuvres de deux séries : Reflecting Thoughts (Ingres) etWilliam Morris. Soit trois portraits féminins copiés d’Ingres et trois tableaux inspirés de motifs de papiers peints de Morris, tous peints sur une surface iridescente faite de velours imprégné de mercure. Les portraits ont été peints en noir et blanc aux dimensions de l’original mais inversés. La règle imposée par les musées aux copistes étant de peindre plus grand ou plus petit que l’original, on peut voir dans ces images en miroir une façon malicieuse de s’affranchir de ladite règle. Par ailleurs, l’iridescence jointe au noir et blanc rappelle l’effet des daguerréotypes et, nous éloignant du tableau, suggère un document sur la construction de celui-ci. Ce point de vue insituable est-il celui d’une intime de Mesdames D’Haussonville, Moitessier et Duvaucey, comme le suggère Lilian Davies dans son texte introductif, ou bien celui d’une artiste qui feint d’être à l’école d’un grand maître ? Le jeu des identités et celui des effets de fascination et d’emprise (Ingres, est-il rappelé, était follement amoureux de Madame Moitessier) sont largement ouverts.
En reprenant les motifs de William Morris qu’elle agrandit et ramène à deux couleurs, Anne-Laure Sacriste inscrit sa différence dans un type de production quasi mécanique. Par-là, elle entraîne avec elle l’apôtre d’un art pour tous vers la « post-painterly abstraction ».
Du 25 janvier au 1er mars 2025, Atrata by Gil Presti, 30, galerie de Montpensier, Jardin du Palais Royal, 75001 Paris

Burkard Blümlein, Table en médium peint, 2000-2017, 80 x 120 x 80 cm. Courtesy Galerie Bernard Jordan
Burkard Blümlein : La table sur laquelle tu as posé ton verre
Burkard Blümlein conçoit ses œuvres comme des conversations entre objets, que ceux-ci soient trouvés ou de sa fabrication. Dans « La Table sur laquelle tu as posé ton verre », on trouve une table un peu spéciale, avec pas mal de creux comme si on y avait posé ses coudes ou des objets à la même place pendant de longues années. À mi-chemin d’une visualisation de petits gestes quotidiens et d’une image de rêve, c’est un objet un peu exceptionnel dans le répertoire de l’artiste. Le domaine de Burkard Blümlein, ce sont les petites épiphanies profanes et les effets de loupe. Une tablette qui porte un morceau de savon et une pierre ne nous dit pas s’il faut les regarder ou en disposer, alors qu’un miroir ovale en verre dépoli ne nous laisse pas d’alternative. Un pull à torsades est porté en avant par un demi-cercle en acier, un large cercle noir en son milieu y fait comme un trou suprématiste dans la vie. Outre les trous et les creux, on rencontre pas mal de contenants, des gouttes ou des cloches de verre, sans que la limite entre l’accessoire d’exposition et l’objet exposé soit toujours nette. Lorsqu’on aperçoit des pièces jaunes écrasées sous une masse de verre colorée et convexe, elles semblent comme une insulte à la beauté de celle-ci. On peut aussi penser le contraire et trouver que le verre confère une valeur véritable à ce fond de poche. Par toutes ces petites interventions ou rafistolages, qui mêlent la surprise à la déception, l’exposition offre comme une forme d’éveil.
Du 8 février au 8 mars 2025, Galerie Bernard Jordan, 12, rue Guénégaud, 75006 Paris