Depuis près de dix ans, Marilou Poncin s’intéresse à l’impact des nouvelles technologies sur la perception du corps, à travers des installations créant un dialogue entre vidéo, photographie et sculpture. Son œuvre la plus récente, Liquid Love is Full of Ghosts (2024), imagine la manière dont les objets technologiques non anthropomorphes peuvent servir de « vecteurs de sentimentalité à l’ère du numérique ». Trois vidéos montrent une rencontre sensuelle entre un individu et une voiture high-tech, un écran tactile ou une combinaison sensorielle.
Cette installation s’inscrit dans ses recherches sur les fantasmes contemporains, jusqu’ici explorés au prisme du corps féminin et de sa mise en scène. Soumis au désir masculin à travers les camgirls et les love dolls, deux grandes thématiques de sa pratique, ou véhiculant des standards de beauté irréalistes que l’artiste s’attache à déconstruire dans son travail sur les influenceuses, le corps féminin est l’écran de toutes nos projections, désirs d’être et d’avoir.
Recherche de matérialité et imaginaire fantasmé
Le fantasme est au cœur de la démarche de Marilou Poncin qu’elle perçoit comme un révélateur de « la puissance de l’imaginaire, du simulacre et de ces mondes intérieurs que l’on crée en réaction à une société ou pour combler certaines envies. » Les fantasmes sont des écrans au même titre que la vidéo, son médium de prédilection, avec lequel « tout est possible » : « Il y a quelque chose de vertigineux à se dire que la vidéo permet de créer des mondes à partir de rien. » Ces mondes, l’artiste les construit minutieusement après une longue phase de recherche, que le livre met en lumière en dévoilant son processus créatif : documentation, storyboards et croquis.
Le film comme l’ensemble de son œuvre s’inscrit dans une volonté de proposer une expérience haptique au spectateur. Ses créations souvent très soignées ont quelque chose de magnétique. Elles donnent naissance à un sentiment d’attraction-répulsion, à travers des jeux de textures — visqueuses, luisantes, veloutées, aqueuses —, qui ne sont pas sans évoquer notre propre matérialité : « Ce retour à l’organique, cette mobilisation du sens du toucher est une manière pour moi de remettre le corps en avant tel qu’il est réellement, dans une société qui le gomme en l’idéalisant. »
L’ouvrage prolonge cette dimension haptique, depuis la couverture ornée d’un dessin réalisé au vernis braille jusqu’au choix des papiers, dont la texture épouse ou au contraire tranche avec les œuvres présentées. Davantage qu’un simple livre, Bodies of Work est un véritable objet qui offre une perspective unique sur le travail de Marilou Poncin.
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Flora Fettah et Elora Weill-Engerer, Bodies of Work – Marilou Poncin, Paris, Collapse Books, 2024, 220 pages, 39 euros.