À l’occasion de son 40e anniversaire, le Castello di Rivoli Museo d’Arte Contemporanea, à Rivoli – ville sise à une bonne heure de transport public à l’ouest de Turin –, a actualisé son parcours, déployé sur deux niveaux. C’est en effet le 18 décembre 1984, après une restructuration majeure menée par l’architecte italien Andrea Bruno, que l’ancien château baroque, érigé en 1718 et jamais achevé, s’est métamorphosé en un musée devenu phare, le premier de la Péninsule, à l’époque, à être entièrement dédié à l’art contemporain.
Un parcours réinventé
Ce « réaménagement-anniversaire », pensé par Marcella Beccaria, conservatrice en cheffe au Castello di Rivoli, et Francesco Manacorda, directeur de celui-ci, s’intitule « Ouverture 2024 », un clin d’œil appuyé à l’exposition inaugurale, « Ouverture 1984 », organisée par Rudi Fuchs, alors à la tête du lieu. « Si l’exposition de 1984 pouvait être vue comme un “galop d’essai” pour une collection à construire, un manifeste de “musée idéal”, quarante ans plus tard, celle de 2024 célèbre le riche fonds bâti au fil du temps, expliquent les deux commissaires. “Ouverture 2024” s’inspire de la vision et de certaines modalités d’ “Ouverture 1984”. Pour filer la métaphore musicale, l’idée est de jouer une même partition avec des instruments et des musiciens différents. » Puis d’ajouter : « “Ouverture 2024” se veut un voyage dans le temps : il y a le présent de l’institution, son histoire passée et, espérons-le, une trace de son avenir par des choix illustrant les valeurs qui guideront notre action. Cette présentation tente de construire un programme sur une base solide pour continuer d’être un musée dans lequel, grâce aux artistes, le futur est imaginé et mis en lumière. »
Si demeure néanmoins une poignée d’œuvres emblématiques datant de 1984 – comme, dans la salle Rheinsberg, la fabuleuse installation Yurupari de l’Allemand Lothar Baumgarten, toute de pigment bleu cobalt non fixé –, nombre de pièces sont montrées pour la première fois. Certaines proviennent des artistes, de galeries ou de musées, d’autres intègrent pour l’occasion le fonds du musée, tels l’installation vidéo La Donna Delinquente (2011-2013) de l’Italienne Chiara Fumai, le film Who Is Afraid of Ideology? (depuis 2017) de l’Américaine Marwa Arsanios ou encore la sculpture The Jumpsuit Theme (2022) de l’Italienne Sara Enrico.
De salle en salle
Dans la salle 22, l’Italienne Lara Favaretto a disposé quatorze énormes « masques » en plâtre et papier mâché, jadis portés par des performeurs (Bulk [en vrac], 2002). Alors que ces formes imposantes inspirent la puissance, c’est sur l’éphémère et la fragilité de leur vide intérieur, lequel contient à la fois la mémoire d’un passé et la possibilité de le répliquer à tout moment, que l’artiste pose son regard. Une atmosphère proche émane de la salle 11 où l’Iranienne Nairy Baghramian oppose organique et inorganique, armure de protection et fluidité de l’existence, soutien et emprisonnement dans Se ployant (soufre) (2024), une série de fragments aux formes organiques en bronze et aluminium maintenues par des structures en inox se fléchissant telles les bribes d’un corps humain.
Dans la salle 24, l’Italienne Micol Assaël, plus rigoriste, propose Iken (2020 ; « opinion » en japonais), une installation à l’équilibre précaire associant un téléphone filaire à des panneaux de bois, piètements métalliques et autres éléments isolants en céramique. L’artiste explore la nature des matériaux – conducteurs, isolants – et, à travers elle, les courants visibles et invisibles liés à la transmission de l’énergie, comme une allégorie transposable à notre existence d’être humain. Projeté en salle 25, le film Tea, 1391 (2012) conte la quête du Mexicain Mario García Torres du One Hotel, l’atelier-demeure que l’artiste italien Alighiero Boetti ouvrit en 1971 à Kaboul (Afghanistan), sous la forme d’un éloquent jeu de miroirs entre identités et pratiques artistiques, lieux et disparitions. Dans la salle 27, l’Ukrainienne Zhanna Kadyrova a dressé l’installation Palianytsia (Pain, 2022), une table sur laquelle sont posés des pains généreux coupés en tranches qui se révèlent être des galets, trouvés dans une rivière des Carpates, ayant la silhouette typique des miches ukrainiennes. L’effet est saisissant. Le terme « palianytsia » est devenu symbolique dans ce pays en guerre, car les occupants russes, en étant incapables de le prononcer correctement, se désignent comme ennemis.
Dans la splendide salle 23, la seule ayant conservé ses peintures du XVIIe siècle signées par Isidoro Bianchi, est exposé Una proposta di sincretismo (questa volta senza genocidio) (Une proposition de syncrétisme [cette fois sans génocide], 2018) de la Brésilienne Maria Thereza Alves, un ensemble de carreaux de céramique représentant un jardin luxuriant peuplé de perroquets et semé de plantes natives d’Amérique latine et de Sicile. En filigrane est ravivée la mémoire des conquêtes sanglantes des colonisateurs occidentaux et prônée une rencontre entre les cultures qui ne soit plus basée sur la violence de la domination.

Gabriel Orozco, Shade Between Rings of Air (Ombra tra anelli d’aria), 2003, bois et métal, Rivoli, Castello di Rivoli Museo d’Arte Contemporanea, 2023.
Courtesy du Castello di Rivoli Museo d’Arte Contemporanea. Photo Sebastiano Pellion di Persano.
L’œuvre maîtresse du nouveau parcours permanent est, à n’en point douter, celle, monumentale, du Mexicain Gabriel Orozco, déployée dans la salle 18 aux murs de briques apparentes. Conçue pour la Biennale de Venise en 2003, Shade Between Rings of Air (Ombra tra anelli d’aria) (Ombre entre des anneaux d’air) est la réplique en bois à l’échelle de La Pensilina (L’auvent, 1952), une pergola que l’architecte italien Carlo Scarpa a imaginée pour transformer une galerie du pavillon central des Giardini en jardin de sculptures à ciel ouvert, lui retirant son toit ainsi que le plâtre de ses murs pour laisser les briques à nu. En 2003, lorsque Gabriel Orozco découvre l’œuvre à l’abandon, la nature ayant depuis longtemps repris ses droits, il la voit « comme une pyramide maya ou une ruine cambodgienne ». L’impressionnante structure en métal entièrement habillée de bois se compose de trois épais « poteaux » sur lesquels trois minuscules sphères métalliques soutiennent l’auvent. Cette œuvre au titre poétique vient d’intégrer la collection du musée. Elle offre aux visiteurs une expérience spatiale inédite, tout en rappelant la temporalité éphémère de la lumière et de l’air. On ne saurait mieux emmêler passé, présent et futur.
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« Ouverture 2024 », du 19 décembre 2024 au 18 décembre 2025, Castello di Rivoli Museo d’Arte contemporanea, piazza Mafalda di Savoia, 10098 Rivoli-Turin, Italie, castellodirivoli.org