C’est un article fleuve que vient de publier le journal Libération. Sur quatre pages, le quotidien raconte l’affaire judiciaire qui empoisonne encore les Ateliers Jean Nouvel (AJN), l’agence de la « starchitecte » Jean Nouvel. Selon les informations de Libération, le parquet de Paris a demandé mi-décembre le renvoi en correctionnelle de plusieurs anciens salariés d’AJN, dont son ancien directeur administratif et financier pour des présumés détournements « massifs » étalés sur plusieurs années, avec des fausses factures émises « en quantité industrielle ». Le préjudice tournerait autour de 25 millions d’euros. L’affaire remonte à plus de dix ans. Dans les années 1990, frappés par la crise, plusieurs grands projets dont celui de la Tour sans fin à la Défense tombent à l’eau. L’agence de Jean Nouvel sombre dans le rouge, et est même placée en liquidation judiciaire. C’est alors qu’un ami d’enfance de Jean Nouvel entre en scène, Michel Pélissié, aujourd’hui décédé. Il investit 5 millions d’euros, devient directeur général, et associé à 50 % de Jean Nouvel. Ce dernier lui octroie toute sa confiance. L’architecte se concentre sur ses projets, son associé gère la société. Les affaires repartent, avec succès, dont la Fondation Cartier, rive gauche à Paris, le Louvre Abu-Dhabi, bientôt le musée du Quai-Branly… Sa cote est au plus haut, dans le monde entier. Mais l’équilibre restait précaire. Un ancien comptable a confié à Libération les « combines » pour faire des économies, en particulier des notes de frais pour compléter les salaires, en particulier des voyages privés. Une affaire de bouteilles de vin livrées aux clients et associés est aussi mentionnée. L’ancien comptable conteste tout enrichissement personnel. Michel Pélissié aurait aussi indûment facturé « des contrats d’assistance fictifs ou disproportionnés » entre sa société de conseil et AJN, pour un total de plusieurs millions d’euros. Des doutes finissent par envahir Jean Nouvel, qui vers 2008 met de l’ordre dans les rémunérations entre lui et son associé. Il finira par se séparer de son associé, et porter plainte pour détournement de fonds.
Par ailleurs, Libération pointe aussi des dépenses mensuelles de 20 000 euros faites par Jean Nouvel avec la carte de la société, sommes correspondant d’après l’architecte « à des frais de représentation ». En cause également : l’argent employé à entretenir l’appartement de l’architecte à Saint-Paul de Vence, qui sert également de bureaux de travail. L’architecte n’a pas été mis en examen mais a été placé sous le statut de témoin assisté.
Aujourd’hui, avec un chiffre d’affaires de 45 millions d’euros, « l’entreprise semble avoir renoué avec ses années fastes », souligne Libération. Les projets prestigieux se succèdent, dont ceux de la Fondation Cartier à Paris, de l’opéra de Shenzhen en Chine, des Galeries Lafayette de Berlin, l’hôtel Sheeran dans le désert d’Al-Ula en Arabie saoudite…
Après la parution de l’enquête de Libération, Jean Nouvel et les Ateliers Jean Nouvel nous ont transmis le commentaire suivant. « De son côté, Jean Nouvel, qui n’a jamais eu aucune responsabilité dans la gestion financière de la société, a immédiatement déposé plainte du chef d’abus de confiance contre son ancien associé dont il était séparé depuis deux ans. Nous regrettons que l’article de Libération ne soit pas assez précis sur les points suivants : les dépenses présentées comme somptuaires sont en réalité indispensables au développement commercial d’une agence d’architecture de ce niveau et nécessaires aux relations avec des clients internationaux de premier rang ; la qualité de victimes des Ateliers Jean Nouvel et de Jean Nouvel doit être rappelée avec force ; la seule nouveauté dans cette affaire vieille de plus d’une décennie est la clôture de l’enquête ». Et d’ajouter : « Depuis la découverte des faits judiciarisés par les Ateliers Jean Nouvel et Jean Nouvel, les Ateliers ont retrouvé une nouvelle dynamique et sont gérés avec la plus grande rigueur. Ils poursuivent une belle trajectoire et réalisent des projets exceptionnels grâce à leurs clients, leurs partenaires et leurs salariés que nous remercions ».