Oubliez le Matias Faldbakken des installations spectaculaire avec ses sangles en couleur qui étranglent contre les murs des armoires métalliques en mode boa constricteur. Oubliez l’artiste norvégien qui balafre les frigos à coups de scie circulaire et renverse les statues cul par-dessus tête. Découvrez les dessins de celui qui s’est d’abord fait connaître comme romancier à la galerie Eva Presenhuber à Zurich et dont c’est ici la troisième exposition personnelle depuis 2011.
L’utilisation d’un médium fragile et supposé calme n’en a pas pour autant apaisé le caractère farouche d’un artiste dont l’œuvre admet ne rien exprimer d’autre que le geste furieux qui la constitue. La surprise de ses dessins – Faldbakken incluant aussi dans cette catégorie ses reliefs en étain – ouvre de nouvelles perspectives sur un travail que l’on connaît surtout dans ses manifestations les plus excessives. Une sobriété qui donne d’ailleurs son titre à l’exposition : « Abstracts and Pewter Abstracts ». Tout simplement.
Dans le texte qui accompagne son accrochage, le Norvégien admet ne pas être très au clair dans cette relation entre dessin et abstraction. Un déchirement qui le touche jusque dans sa pratique. Matias Faldbakken est un auteur à succès qui, le matin, écrit des romans réalistes et, l’après-midi, s’échappe dans son œuvre abstraite. Deux univers strictement séparés dont il s’abstrait littéralement. À tel point que l’artiste rejette toute forme dessinée ressemblant, même vaguement, à la réalité. Pour lui, le dessin n’a pas « l’arrogance sans limite de la peinture. Il ne va pas aussi loin ». Il incarne aussi bien la puissance que l’impuissance des images. Il est donc un médium de la contrainte, forcément imparfait et déceptif, comme le sont les objets que l’artiste étouffe, découpe et balafre, ou encore cet immense carrelage sans qualité, répliques inachevées de la décoration d’un hôpital d’Oslo et que Matias Faldbakken avait reproduits au moment de sa rétrospective au Consortium à Dijon, il y a un peu plus de dix ans.

Vue de l’exposition « Matias Faldbakken, Abstracts and Pewter Abstracts » à la Galerie Eva Presenhuber, Waldmannstrasse, Zurich, 2025. © Matias Faldbakken Courtesy de l’artiste et Galerie Eva Presenhuber, Zurich / Vienne. Photo : Stefan Altenburger Photography, Zurich
Pour un artiste qui s’exprime volontiers en volume, le dessin représente souvent un moment préparatoire. Il est un plan qu’il s’agit de corriger pour atteindre l’objectif de sa traduction en trois dimensions. Chez Matias Faldbakken, il est un autre élément du vocabulaire. De la même manière que sa pratique littéraire est imperméable à son travail d’artiste, le dessin ne raccorde pas forcément avec le reste de sa production. Alors oui, ces compositions géométriques tracées à l’encre rappellent ces motifs en carreaux de céramique. Les manques, les repentirs et le côté « mural » de ses œuvres, accentués par les fonds en gesso, pourraient passer pour des versions adaptées au marché de ses installations monumentales. Mas elles apparaissent aussi comme des œuvres indépendantes qui expriment ses tentatives de « faire abstraction ». Abandonnées en cours de route, elles sont laissées à l’état débauche. Comme ces dessins techniques faussement précis, criblés de scories dont on devine qu’ils n’ont abouti à rien. Ou ces papiers craft sur lesquels des formes libres ont l’air d’avoir été laissées en plan. « Abstract without bstrac » représente la première et dernière lettre du mot « Abstract » étiré comme un fil de sucre et répété trois fois, au crayon ou en peinture. La disparition du deuxième « A » dans le titre, poursuivant en cela une pratique d’omission habituelle de l’artiste, rappelle aussi que Faldbakken reste un homme de lettres.
Sans repère, la boussole du spectateur s’affole. Dans l’exposition, il lui arrive quand même de pouvoir s’accrocher à une référence. Le mot « Dynasty » écrit juste au-dessus d’un carré noir sur fond blanc semble on ne peut plus équivoque, sans avoir aucune certitude que l’artiste cherche vraiment à évoquer Malevitch. Le dessin reprend en fait la couverture du plus célèbre album de Kiss, mais oblitéré des quatre visages des membres du groupe. Des avant-gardes au hard rock, d’une dynastie à l’autre en quelque sorte.
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« Abstracts and Pewter Abstracts », Galerie Eva Presenhuber, jusqu’au 22 mars 2025, Waldmannstrasse 6, 6001 Zurich, Suisse