Le marché de l’art sud-asiatique, en plein essor, a connu un moment historique le 19 mars 2025 lorsque la peinture monumentale de M.F. Husain, Untitled (Gram Yatra), réalisée en 1954, a été vendue à New York pour 13,7 millions de dollars (plus de 12,6 millions d’euros), frais inclus, soit près de quatre fois son estimation haute de 3,5 millions de dollars. Ce résultat a établi un nouveau record pour l’art moderne indien aux enchères, ainsi que pour la peinture indienne. Plus haut résultat de vente aux enchères modernes et contemporaines de Christie’s en Asie du Sud, il double presque le précédent record pour cette catégorie, qui avait été atteint en 2023 pour The Storyteller (1937) d’Amrita Sher Gil, chez Saffronart à Mumbai.
Il s’agit du deuxième prix le plus élevé pour une œuvre d’art d’Asie du Sud, toutes périodes confondues, après les 24,6 millions de dollars (près de 22,8 millions d’euros) atteint par une figure de bodhisattva en pierre noire du XIIe siècle provenant du nord-est de l’Inde, vendue chez Christie’s New York en 2017.
Selon un porte-parole de Christie’s, l’œuvre record de Husain a fait l’objet d’une bataille d’enchères entre cinq clients et a été adjugée à une institution, qui a enchéri au téléphone avec Nishad Avari, directeur du département d’art moderne et contemporain d’Asie du Sud chez Christie’s. La maison de vente aux enchères a refusé de révéler le nom de l’acquéreur.

La vente d'art moderne et contemporain d'Asie du Sud chez Christie's à New York le 19 mars 2025. Courtesy Christie's
Peinture murale composée de 13 panneaux, elle est « l’œuvre la plus importante de Husain à être proposée sur le marché public depuis une génération », selon Nishad Avari. Les années 1950 sont la décennie la plus recherchée pour Husain et le précédent record de l’artiste sur le second marché, Untitled (Reincarnation), vendu pour 3,2 millions de dollars en septembre 2024, date de 1957. Au cours de ces années, Husain a beaucoup voyagé en Inde et dans le monde entier, et les différents panneaux de Untitled (Gram Yatra), qui constituent chacun un élément distinct, témoignent d’un grand nombre d’influences mondiales, de Paul Klee et Pablo Picasso à la calligraphie chinoise. Le titre officieux de l’œuvre en hindi, « Gram Yatra », signifie pèlerinage dans un village et dépeint des scènes quotidiennes de la vie pastorale et rurale à travers le pays, Husain cherchant à capturer la réalité de l’Inde dans les années qui ont suivi son indépendance.
Connue sous le nom de Volodarsky Husain, du nom de son ancien propriétaire, le médecin Leon Elias Volodarsky, né en Ukraine et installé en Norvège, l’œuvre n’a pratiquement pas été exposée depuis qu’elle a été créée il y a 71 ans. Voldardsky l’a achetée lors d’un séjour à Delhi. Après sa mort en 1964, sa succession l’a léguée à l’hôpital universitaire d’Oslo, son employeur, où elle a été placée dans un couloir privé, hors de la vue du public. C’est l’hôpital qui a consigné le tableau pour la vacation. La possibilité de vendre l’œuvre a été un « périple de 13 ans, ce qui représente toute ma carrière chez Christie’s », explique Nishad Avari. Le produit de la vente servira à créer un centre de formation pour les futurs médecins.
La vente a rapporté au total 24,8 millions de dollars (près de 23 millions d’euros), avec les frais, soit plus du double de son estimation haute de 11,7 millions de dollars (hors frais). Ce résultat impressionnant intervient alors que les totaux des ventes aux enchères dans les grandes régions du marché de l’art, de Londres à la Chine, sont en baisse. En effet, comme le souligne Nishad Avari, cette œuvre de Husain est jusqu’à présent « la plus chère vendue par une maison de vente aux enchères en 2025 », ce qui est un résultat remarquable si l’on tient compte des ventes du soir réalisées au début du mois à Londres.
Tout en reconnaissant que ce moment est « phénoménal » pour l’art sud-asiatique, Nishad Avari estime que les maisons de vente aux enchères ne doivent pas pour autant revoir à la hausse les estimations pour l’art indien. « Nous augmentons les prix en fonction de tendances durables plutôt qu’après des résultats isolés, dit-il. Cette œuvre était vraiment unique en son genre. »