À la clôture de la preview VIP d’Art Basel Hong Kong (ABHK), le 26 mars 2025, les attentes discrètes avaient laissé place à un optimisme prudent, les marchands étant encouragés par l’afflux de nouvelles têtes venues d’Asie de l’Est et du Sud-Est. « Je pense que je suis très heureuse ! », se réjouissait Claudia Albertini, directrice principale chez Massimo De Carlo, lors de la soirée de vernissage. « La participation est excellente cette année ; nous rencontrons beaucoup de nouveaux collectionneurs, principalement d’Asie. Le choix des œuvres est plus réfléchi, peut-être moins léger, moins spontané », analysait-elle.

Vue de la foire Art Basel Hong Kong. © Art Basel
Nombreux sont ceux qui ont abordé cette édition avec appréhension. « Il est vrai qu’avant la foire, nous n’étions pas sûrs de la façon dont elle se déroulerait », a déclaré Thaddaeus Ropac dans un communiqué. Sa galerie a enregistré plus de 5 millions de dollars de ventes au cours des deux premiers jours du Salon, incluant la peinture Luise, Lilo, Franz und Johannes (2010) de Georg Baselitz pour 1,2 million d’euros, et une œuvre émaillée sur argent de Roy Lichtenstein de 1992 pour 1,5 million de dollars.
Une approche modérée
La présence de nouveaux collectionneurs a peut-être contribué à redonner à ABHK une partie de sa vigueur d’avant la pandémie, mais elle a également souligné combien les choses ont changé depuis les ventes massives et l’énergie frénétique du boom chinois des années 2010. Les dépenses en provenance de la Chine continentale, moteur de ce phénomène, sont toujours en baisse ; de nombreux galeristes rapportent que l’on parle moins le mandarin sur leurs stands, ce qui correspond aux dernières données sur les ventes aux enchères dans cette région. Les transactions ont chuté de 41 % en 2024, selon un récent rapport d’ArtTactic.
Cependant, des signes de reprise sont visibles, même si l’approche est plus modérée qu’auparavant. Parmi les ventes les plus importantes de la première journée VIP, une nouvelle peinture de grande taille de Michaël Borremans, Bob (2025), a été vendue par David Zwirner pour 1,6 million de dollars à la Corridor Foundation à Shenzhen, une ville voisine. La galerie a également déclaré avoir vendu une toile Infinity Net de Yayoi Kusama pour 3,5 millions de dollars, ce qui constitue la transaction la plus élevée de la première journée.
Les collectionneurs de deuxième et troisième générations de la Chine continentale sont de plus en plus nombreux et, selon Angelle Siyang-Le, directrice de la Foire, le nombre d’acheteurs d’art de la génération Z en Chine « augmente de manière exponentielle ». La galerie Studio de Shanghai, qui expose pour la première fois à ABHK, présente un solo show de sculptures de Wang Yuyu. La galerie a reçu « un nombre impressionnant de demandes de la part de collectionneurs » et a vendu « quelques grandes pièces », selon sa directrice, Celine Zhuang. Elle ajoute que les collectionneurs « semblaient plus détendus, ne se précipitant plus pour acquérir des œuvres aussi rapidement qu’auparavant ».

Le stand de la galerie Silverlens de Manille à ABHK. Courtesy Silverlens (Manille/New York)
Daniele Balice, le cofondateur de la galerie parisienne Balice Hertling, affirme qu’à la fin de la journée de vernissage, il avait vendu la majeure partie du stand de l’artiste shanghaïen Zhi Wei, dont les peintures diaphanes sont proposées au prix de 17 500 euros l’unité. « Nous étions hésitants, mais la journée s’est bien passée. Nous n’avions aucune attente particulière – comme tout le monde aujourd’hui. Mais cette journée m’a rassuré, je reviendrai », a-t-il déclaré.
À l’activité en baisse de la Chine cette année s’ajoute un nombre également moins élevé de collectionneurs américains que d’habitude, ainsi qu’une diminution du nombre d’exposants américains, en particulier ceux qui vendent des œuvres de premier ordre de la période postmoderne, comme Edward Tyler Nahem et Helly Nahmad, qui n’ont pas fait le déplacement. L’absence la plus notable est celle de Lévy Gorvy Dayan, un exposant de longue date à ABHK, qui, lors de son édition 2018, a vendu un tableau de Willem de Kooning d’un montant de 35 millions de dollars deux heures seulement après l’ouverture, ce qui reste à ce jour l’œuvre la plus chère vendue à la Foire de Hongkong. L’été dernier, la galerie a fermé son espace de Hongkong après cinq ans d’existence.
De son côté, Lehmann Maupin n’a toujours pas rouvert son espace dans la ville. La galerie a annoncé la vente de 15 œuvres le jour du vernissage, toutes à des collectionneurs asiatiques, principalement de Hongkong et de Corée du Sud, dont une grande peinture de Cecilia Vicuña pour 350 000 à 400 000 dollars.
Des sables mouvants
Alors que les deux géants que sont la Chine et les États-Unis restent relativement discrets à Hongkong, d’autres régions se retrouvent sous les feux de la rampe. La principale d’entre elles est l’Asie du Sud-Est, une région qui comptait un important contingent de collectionneurs à Hongkong il y a plusieurs décennies, avant d’être éclipsée par l’essor de la Chine.
« Singapour et les Philippines ont enregistré des taux de participation nettement plus élevés », note Angelle Siyang-Le. Parmi les galeries de la région qui participent à la foire, figurent CityCity de Bangkok et l’incontournable Silverlens de Manille. L’infrastructure institutionnelle croissante de la région a également été mise en lumière cette semaine, avec un événement organisé pour le futur musée Dib de Bangkok, dont l’ouverture est prévue en décembre.
Cependant, les acheteurs d’Asie du Sud-Est, ainsi que ceux du Japon et de Taïwan, deux autres régions de plus en plus présentes à ABHK, n’ont pas encore atteint une masse critique. « Nous préparons le terrain pour une infrastructure qui est en train de se mettre en place », déclare Jun Tirtadji, directeur de la galerie ROH de Jakarta. En conséquence, de nombreux marchands ne viennent pas encore avec leurs œuvres de premier ordre, réservées aux foires européennes et américaines. Sur le stand d’Acquavella, une toile de Francis Bacon est proposée à 22 millions de dollars, mais la galerie l’a déjà exposée lors des précédentes foires d’Art Basel.

Angelle Siyang-Le, directrice d'Art Basel Hong Kong. Courtesy Art Basel Hong Kong
Sous couvert d’anonymat, un conseiller basé à Hongkong confie que la pratique du collectionnisme en Asie — et en Chine en particulier — semble aujourd’hui marquer le pas, freinée par des vents contraires d’ordre plus général. Selon lui, cette situation est en train de devenir un « cercle vicieux » parce que « les meilleures œuvres ne sont pas amenées dans la région », qui abrite une base de collectionneurs « de plus en plus exigeants ». « Les galeries seront récompensées si elles se montrent à la hauteur », prédit-il.
L’une des œuvres phares de cette année est Cell (Choisy Two) (1995) de Louise Bourgeois, une sculpture inspirée de l’enfance de l’artiste enfermée dans une cage métallique austère et imposante. Sur la quarantaine de Cells réalisées par l’artiste, rares sont celles qui se trouvent aujourd’hui en mains privées, la plupart étant détenues par les plus grands musées d’art du monde, dont la Tate, le Centre Pompidou et le Museum of Modern Art de New York. L’œuvre, mise en vente pour 7,5 millions de dollars, est la première œuvre de Louise Bourgeois proposée par Hauser & Wirth à la fois sur son stand et dans le cadre de l’exposition personnelle de l’artiste dans sa galerie de Hongkong. Cette présentation coïncide avec l’exposition itinérante consacrée à Louise Bourgeois, qui fera étape en Asie, notamment à Tokyo et à Taïpei.
Cette tournée est elle-même un phénomène récent « qui n’aurait pas eu lieu il y a dix ans », explique le président de la galerie, Marc Payot, qui ajoute que la présentation de cette œuvre « témoigne du sérieux avec lequel la galerie prend cette région en considération ». Si Hauser & Wirth a vendu une sculpture plus petite de Louise Bourgeois pour 2 millions de dollars à un collectionneur asiatique lors du vernissage, Cell n’avait toujours pas trouvé preneur à la fin de la deuxième journée. Pour Marc Payot, qui adopte une approche mesurée, ce rythme plus lent est révélateur d’une nouvelle phase chez les collectionneurs, « plus réfléchie ». « Ces choses-là doivent prendre du temps », conclut-il.
ART BASEL HONK KONG, du 28 au 30 mars 2025, Convention & Exhibition Centre, 1 Harbour Road, Wan Chai, Hong Kong, Chine