Dans le prolongement de l’exposition « Immortelle », qui mettait à l’honneur en 2023 la vigueur de la jeune peinture figurative française au MO.CO à Montpellier, le parcours dédié à la scène hexagonale – imaginé en duo par la commissaire Amélie Adamo et Numa Hambursin, directeur du MO.CO – réunit cette année une trentaine d’artistes représentés par des galeries françaises. Ils esquissent ensemble une cartographie à la fois dense et ouverte, où la figuration contemporaine ne se donne plus comme un courant unifié, mais comme un territoire en perpétuelle reconfiguration, traversé de fidélités assumées et d’audacieuses réinventions.
Un territoire en perpétuelle reconfiguration

Yayoï Gunji, Hinode 2, 2024, acrylique sur toile, 81 x 100 cm. Courtesy Galerie Catherine Issert
Différentes générations se côtoient ici : celle de la figuration libre, avec Robert Combas (Strouk) et Jean-Charles Blais (Yvon Lambert) et, dans leur lignée, Marcos Carrasquer (Polaris) ; mais également des talents émergents tels que Gaétan Vaguelsy (Polaris), Maty Biayenda (Double V) et Léa Toutain (Camille Pouyfaucon). Doyen de la sélection, Vincent Bioulès (La Forest Divonne) résume à lui seul une mémoire vive de la peinture figurative. Son parcours témoigne en effet d’un retournement fécond : dans les années 1980, il s’éloigne du groupe Supports/Surfaces qu’il avait cofondé, pour retrouver une peinture pleinement incarnée. Ses paysages inspirés de la Méditerranée, mais aussi ses scènes d’intérieur et ses portraits savoureusement colorés, exaltent ainsi le plaisir de la peinture comme une expérience profondément sensible. Cette restitution d’impressions fugaces et de sensations se retrouve chez Yayoï Gunji (Catherine Issert), dont les intérieurs silencieux rappellent Matisse et restituent, tout en délicate retenue, l’émotion de l’instant.
Entre précision minutieuse et esquisse déliée, les figures de Johanna Mirabel (Nathalie Obadia) surgissent quant à elles dans des espaces domestiques à la végétation luxuriante. Dans ses tableaux, les formes picturales, semblant toujours en mouvement, renvoient à la complexité du vivant et portent l’empreinte de plusieurs cultures. Leur atmosphère, baignée de mystère et de poésie, se retrouve également dans les toiles de Barbara Navi (Valérie Delaunay) où les perspectives déjouées ouvrent sur des mondes mentaux.

Thomas Lévy-Lasne, La plage d'Ostende, 2024, huile sur toile, 150 x 200 cm. Courtesy Les filles du calvaire
Peinture ancré dans le réel ou théâtre affirmé
Cette peinture aux accents oniriques s’exprime magistralement dans les toiles d’Oda Jaune (Templon) où les corps féminins, dans la lignée du surréalisme, sont soumis à d’étranges métamorphoses. D’autres encore, à l’instar de Katia Bourdarel (Renard Hacker) ou Marlène Mocquet (BSL) façonnent des univers ambigus, traversés de mythologies et de visions hallucinées. Si les corps titanesques peints par Laurent Proux (Semiose) sont totalement reconfigurés, Karine Rougier (Les filles du calvaire) propose des peintures miniatures d’une grande finesse, inspirées des mythologies ancestrales du monde entier. Réalisées à la tempera sur des fragments d’épaves méditerranéennes, ses œuvres tissent un lien intime entre nature et spiritualité. Ce fil du trouble et de la tendresse se prolonge dans les œuvres de Françoise Pétrovitch (Semiose) où l’entre-deux règne en maître. De ses figures au regard noyé semble en effet sourdre une dualité, celle de l’existence traversée par la force, mais aussi la vulnérabilité.

Marion Bataillard, Place de la réunion, 2023, peinture, 400 x 200 cm. Courtesy Paris-B
Plus directement ancrée dans le réel, la peinture de Thomas Lévy-Lasne (Les filles du calvaire) adopte un hyperréalisme aux résonances écologiques et sociétales fortes. Son approche quasi-photographique frappe alors par sa netteté frontale et sa charge symbolique. Dans un tout autre registre, Marion Bataillard (Paris-B) compose des scènes empreintes d’une théâtralité affirmée. Sa palette lumineuse, qui évoque parfois les fresques de la Renaissance, met en valeur des corps expressifs dans une mise en scène du geste et du mouvement. Cet apparent classicisme se retrouve également dans les toiles de Youcef Korichi (Suzanne Tarasieve) et de Dhewadi Hadjab (Mennour), les corps apparaissant figés dans un moment d’extrême instabilité.
Si chez Ronan Barrot (Claude Bernard), la matière picturale, épaisse et chaotique, devient le terrain d’émergence de figures archétypales et héroïques, chez Vincent Gicquel (RX SLAG), elle se liquéfie tout en coulures et transparences, interrogeant alors le vertige de l’existence.
Enfin, dans une veine plus conceptuelle, Agnès Thurnauer (Michel Rein) célèbre les affinités entre peinture et écriture : en révélant la plasticité du langage, elle fait alors de la surface picturale un espace où voir, c’est aussi apprendre à lire autrement le monde.

Agnès Thurnauer, Virginia Valadon, 2014, peinture, 150 x 200 cm. Courtesy Michel Rein