Le nom de la lauréate du prix World Press Photo 2025 a été annoncé hier, 17 avril, mais l’ambiance n’était pas vraiment à la fête lorsque Samar Abu Elouf est arrivée à l’exposition d’Amsterdam où son cliché récompensé était à l’honneur. Son sujet – un garçon du nom de Mahmoud Ajjour, âgé de 9 ans à l’époque et de 10 ans aujourd’hui – a perdu ses deux bras lors d’une attaque israélienne sur Gaza, il y a un peu plus d’un an. Lorsqu’elle a pris la photo, explique la photographe, elle pensait à ses quatre propres enfants, dont le plus jeune a 12 ans. « Quand je vois Mahmoud, je pense à lui comme s’il était mon propre fils », a-t-elle dit.
Samar Abu Elouf est elle-même originaire de Gaza : comme de nombreux sujets de ses photographies, elle a été évacuée de la bande et vit aujourd’hui dans le même complexe de Doha, au Qatar, où Mahmoud habite avec sa famille. « Je le voyais regarder les enfants jouer et je ressentais sa douleur », dit-elle. Après qu’il a accepté d’être photographié, elle a demandé à sa mère de l’appeler lorsque le soleil pénétrerait dans leur appartement. L’image qui en résulte rappelle les bustes classiques, et met en valeur le visage pensif de Mahmoud sans occulter la terrible réalité de ses blessures.

Florian Bachmeier, Beyond the Trenches. © Florian Bachmeier
Cette année, le prix fête son 70e anniversaire. 59 320 photographies ont été présentées par 3 778 photographes de 141 pays. Son attribution à Samar Abu Elouf s’inscrit dans la logique défendue par la directrice de World Press Photo, Joumana El Zein Khoury, qui consiste à encourager les photojournalistes qui font partie de leur communauté, plutôt que les étrangers occidentaux qui arrivent, prennent des photos et rentrent chez eux. « Lorsque je suis arrivée [il y a cinq ans], je me suis demandé comment nous pouvions nous appeler World Press Photo alors que la plupart de nos lauréats venaient d’Europe et des États-Unis et étaient des hommes blancs », explique-t-elle.

Aubin Mukoni, The Lake Has Fallen Silent. © Aubin Mukoni
Pour favoriser l’émergence d’un plus grand nombre de candidats, elle a divisé le monde en six régions, les photographes s’inscrivant en fonction de celle où leur travail a été réalisé. Parallèlement, les jurés ont été choisis de manière à refléter la diversité des régions. « Bien que la sélection se fasse à l’aveugle et soit anonyme, ces changements ont apporté une nouvelle dimension au fonctionnement du prix », assure-t-elle. Au cours de la première année qui a suivi l’introduction de ces changements, 80 % des lauréats ayant accédé à la phase finale du processus de sélection étaient originaires de leur région. « J’en suis fière », revendique Joumana El Zein Khoury.
Le portrait récompensé de Samar Abu Elouf figure parmi plus de 140 photographies exposées (jusqu’au 21 septembre 2025) à De Nieuwe Kerk, près de la place du Dam, à Amsterdam. L’exposition voyagera ensuite dans le monde entier. L’accrochage met en lumière, comme à l’accoutumée, les plus grands événements et crises de l’année écoulée : de la tentative d’assassinat du président américain Donald Trump en Pennsylvanie en juillet, capturée par Jabin Botsford pour le Washington Post, à l’épuisement des stocks de sardines dans le lac Kivu, à la frontière entre le Rwanda et la République démocratique du Congo, par Aubin Mukoni ; d’une photographie d’Anhelina, une enfant ukrainienne traumatisée de 6 ans, prise par Florian Bachmeier, aux manifestants qui ont participé au soulèvement de la jeunesse kényane l’été dernier, par Luis Tato pour l’Agence France-Presse.

Luis Tato, Kenya's Youth Uprising. © Luis Tato, Agence France-Presse
Une autre exposition prévue en septembre, qui sera également présentée dans différents espaces dans le monde entier, donnera à voir des événements et des photographies marquants depuis 1955, ainsi que la nature changeante de la photographie et des valeurs qui l’entourent.
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« World Press Photo », du 18 avril au 21 septembre 2025, De Nieuwe Kerk, De Dam, Amsterdam.