Tania Pérez Córdova : Breathing for Speech Exercises
Le travail de Tania Pérez Córdova offre une approche conceptuelle d’expériences simples s’appuyant sur l’objet trouvé et sur la performance. Au terme d’une réflexion menée sur la parole, elle a conçu une exposition en sept respirations qui déterminent sa temporalité. Ces respirations, saisies dans le moment de l’expiration, sont matérialisées par des sortes de bonbonnes de verre de différentes couleurs enserrées entre deux valves d’une coquille en fonte d’aluminium ; celles-ci pouvant figurer aussi bien une cage thoracique que des poumons. Fixées aux murs ou, pour l’une, soclée, ces sculptures ont de par leur matérialité un aspect délicat et précieux, tandis que les formes de verre évoquent des ballons de baudruches se vidant de leur air. Les titres nous apprennent que telle respiration est shamanique, alors que telle autre est retenue ou qu’une troisième est la manifestation d’un essoufflement. Chacune est le fruit d’une performance guidée par l’artiste et incarne un personnage. L’une d’elles porte un nom des plus étranges : Personnes qui ne supportent pas les bruits de mastication ou de respiration. Au sein de cette action dramatique où le souffle créateur côtoie l’expression de différents malaises, le visiteur apporte sa propre respiration longue. Les autres éléments de cette action sont trois branches d’arbres fixées aux murs et des purificateurs d’air formés par de larges anneaux d’aluminium garnis de filet anti-grêle et qui sont, eux, suspendus. Les feuillages aussi bien que les particules épaisses encombrant les grilles de purificateurs sont faits d’un amalgame de papier obtenu à partir du broyage de documents privés. Un croisement du lyrique et du technique qui fait voir d’un autre œil le lien de la parole à l’expression écrite.
Du 11 avril au 17 mai 2025, Art : Concept, 4, passage Sainte-Avoye, 75003 Paris

Vue de l’exposition « Apóstolos Georgíou : LAST before NEXT » à la Galerie Michel Rein, Paris. Photo : Florian Kleinefenn. Courtesy de l’artiste et Galerie Michel Rein
Apóstolos Georgíou : LAST before NEXT
Les tableaux du Grec Apóstolos Georgíou sont caractérisés par des figures raides, des esquisses très développées aux traits peu marqués et, qu’elles soient nues ou habillées, engagées dans des actions que l’on pourra juger absurdes ou oniriques. Ils sont dépourvus de titre afin de laisser toute latitude au spectateur. Georgíou a dit un jour que ses œuvres dépeignaient des pensées quotidiennes, celles qui vous traversent l’esprit au contact de la réalité et bouleversent légèrement la perception que nous avons de celle-ci. Dans les tableaux qui composent « LAST before NEXT », les rapports homme-femme sont marqués par la plus grande distance, pour ne pas dire l’incommunicabilité, tandis que ceux de l’individu et du groupe ou des groupes entre eux paraissent de nature conflictuelle. Telle œuvre montre trois hommes nus qui s’agitent au sol devant un mur derrière le sommet duquel cinq hommes habillés ont tout l’air de les invectiver. Ce que nous avons identifié comme mur pourrait aussi bien être un tableau vide qui serait l’objet de la dispute. Se risquer à l’allégorie ou lui préférer l’action terre à terre ? Au sein de l’accrochage, il est un tableau qui fait un peu plus de bruit. Il montre un mâle nu un peu gras qui, debout sur un tabouret, vient de laisser échapper le crucifix qu’il s’apprêtait à fixer au mur, comme en atteste le marteau resté dans sa main. Au-delà de l’incident, du gag, le sujet, c’est l’individu, pas tout à fait au centre mais qui divise la composition en deux et porte en quelque sorte la responsabilité de celle-ci. Le badigeonnage de gris substitué au fond terre de Sienne au-dessus de son marteau – comme un mur qui s’effondre – est le signe de sa profonde détresse.
Du 28 mars au 17 mai 2025, Galerie Michel Rein, 42, rue de Turenne, 75003 Paris

Aristide Bianchi, 17.04.2018, 2018, acrylique, encre de chine, bic et papier (fabriano 210 gm2), 136,5 x 102,5 cm. Courtesy de l’artiste et Galerie Bernard Jordan
Aristide Bianchi : Avers
Il y a une vingtaine d’années, Aristide Bianchi a défini un processus de travail qui bouleverse l’idée que l’on peut avoir du dessin. Il commence par tracer au recto et au verso d’une feuille, au crayon, à l’encre ou à l’acrylique, quelques traits ou quelques motifs simples. Ensuite, il coupe la feuille dans l’épaisseur en préservant l’intégrité d’au moins une mince bande de papier. Le recto et le verso sont ainsi réunis, doublant la surface initiale de la feuille, et la bande ou les bandes intègres, nommées charnières, les font tenir. L’opération de détachement se fait par « traction alternativement exercée sur une face ou sur l’autre » et cela laisse des traces fines, crée des différences d’épaisseur comme si la feuille avait été marquée par le frottage contre une surface. Les dessins, plus ou moins opaques, ont des formes de rectangles ou de losanges irréguliers. Fixés au mur avec un minimum de pointes, ils semblent y flotter. La feuille se fait voile, fantôme de toile et le dessin se rapproche de la peinture par un autre chemin. Sur l’un des dessins, on voit une ligne oblique dans la partie inférieure et, par transparence, la marque qu’elle a laissée au dos d’une sorte de méandre noir épais. Cette transparence absolue du processus a des effets intrigants. Lorsque apparaît sur une charnière le grammage, la référence du papier en gaufrage, ou les discrets traits de signature de l’artiste, ceux-ci ont un poids et un pouvoir d’évocation véritables.
Du 17 avril au 31 mai 2025, Galerie Bernard Jordan, 12, rue Guénégaud, 75006 Paris

Vue de l’exposition « Life is what happens to you when you’re busy making other plans », Aesthetics of Contingency #2, sous le commissariat de Sébastien Pluot, à la Galerie Jocelyn Wolff, Romainville. Photo : Zoé Chauvet
Life is what happens to you when you’re busy making other plans, Aesthetics of Contingency #2
« Life is what happens to you when you’re busy making other plans » est la version augmentée d’une manifestation qui s’est tenue l’année dernière au Kyoto Art Center, au Japon. Partant de la notion de contingence, Sébastien Pluot a composé une exposition à entrées multiples, réunissant des œuvres historiques de l’art conceptuel, de Fluxus ou de la critique institutionnelle, et des œuvres d’aujourd’hui, qui se réclament plus ou moins ouvertement de ces différents mouvements. À cet axe principal nourri essentiellement par l’art américain des années 1960 et 1970, s’en ajoute un autre fait d’expériences conduites au Japon par des artistes occidentaux, et principalement rassemblées dans une maison de thé. La position d’auteur du commissaire est d’autant mieux assumée que sa pratique curatoriale s’inspire des courants artistiques qu’il défend. Ainsi, l’exposition s’ouvre par une présentation d’objets pour lesquels la fonction suit la forme, fruits d’un projet mené par lui au Japon. « Life is…. » est donc tout à la fois une anthologie et un chantier de réflexions qui aura vraisemblablement des suites. Plus encore que Marcel Duchamp, présent à travers le manuscrit d’un bref discours consacré aux échecs (occasion de parler d’art, de musique et de poésie), c’est l’ombre de John Cage qui plane sur l’ensemble. Parmi les nombreuses œuvres rares et surprenantes, on se doit de citer les Time Boxes, quatre caisses qu’en 1975 Stephen Antonakos confia à quatre amis artistes, Richard Artschwager, Daniel Buren, Sol LeWitt et Robert Ryman, à charge pour eux d’y déposer une œuvre à ne découvrir qu’en l’an 2000. Au-delà de l’importance des noms, c’est une belle leçon d’histoire de l’art. Cette pièce inspira au commissaire et à une dizaine d’artistes une Time Capsule, en 2014, en hommage à Antonakos qui venait de disparaître. Mentionnons aussi deux œuvres de nature poétique conçues par deux artistes Fluxus et qui éclairent chacune l’idée de contingence. Il s’agit du Spatial Poem N°3 - Falling Event de Mieko Shiomi, œuvre participative de 1966, qui invite les participants à faire attention à quelque chose qui tombe ; et de The House of Dust (1967) d’Alison Knowles, un programme informatique permettant de produire des quatrains à partir des attributs d’une maison. Des quatrains s’écrivent sur une imprimante matricielle tout au long de l’exposition. Entre relectures, actualisations et références au Japon, c’est la question d’une tradition de l’avant-garde, et de la transmission des concepts qui se trouve mise en perspective.
Du 16 mars au 15 mai 2025, commissariat de Sébastien Pluot, Galerie Jocelyn Wolff, 43, rue de la Commune de Paris/KOMUNUMA, 93230 Romainville