Le sculpteur Joel Shapiro est décédé le 14 juin 2025 à Manhattan, à l’âge de 83 ans. Sa fille, Ivy Shapiro, a indiqué au New York Times qu’il était mort d’une leucémie myéloïde aiguë.
Réputé pour ses sculptures vibrantes et isomorphes réalisées à partir de poutres en bois, Shapiro a su tracer une voie singulière entre abstraction et figuration. Ses figures aux allures humaines semblent prêtes à bondir, à marcher ou à s’effondrer d’un instant à l’autre. D’une apparente simplicité mais d’une étonnante expressivité, son langage formel, à la fois épuré et dynamique, lui permettait de créer des œuvres puissantes avec un minimum de gestes – un style qui fit de lui l’un des artistes les plus sollicités pour des commandes publiques de grande envergure.

Joel Shapiro, Loss and Regeneration, 1993. Photo Wotjek Naczas. Courtesy Pace Gallery
Il en réalisa plus de trente au cours de sa carrière, dont l’installation emblématique Loss and Regeneration (Perte et régénération, 1993), conçue pour la place du United States Holocaust Memorial Museum à Washington. Composée de deux sculptures en bronze se faisant face de part et d’autre d’un vide, l’œuvre met en scène une figure figée dans une chute et une maison renversée – un dialogue spatial saisissant sur le traumatisme et la brutalité des tragédies historiques.
Ses œuvres d’art public sont également installées au Kennedy Center for the Performing Arts à Washington, dans le cadre du programme Sculpture International Rotterdam, ainsi qu’au consulat des États-Unis à Canton, en Chine.
Pour Joel Shapiro, l’art relevait d’« une forme d’autodéfinition, une manière de clarifier qui l’on est dans le monde ». Il a déclaré au New York Times : « Chaque forme est chargée de la psychologie de son auteur. »
Né en 1941 dans le Queens, à New York, Joel Shapiro était le fils de Joseph et Anna Lewis Shapiro, respectivement médecin et microbiologiste. Influencé par leurs carrières scientifiques, il entame des études de médecine à la New York University, mais sans réelle conviction. Il passe ensuite deux ans en Inde, au sein du Corps de la paix, une expérience marquante. De retour à New York en 1967, il aborde avec un regard neuf le minimalisme glacé qui domine alors la scène artistique new-yorkaise.
Il se fait remarquer en 1969 avec ses « fingerprint drawings » : de vastes œuvres sur papier recouvertes de rangées répétitives d’empreintes digitales à l’encre, à la fois conceptuelles et sensuelles. Ces travaux intriguent la galeriste Paula Cooper, qui l’intègre à une exposition collective dans son espace de SoHo. Sa carrière prend dès lors un rapide essor.
Bien que son travail dialogue avec les thèmes formels du minimalisme, Joel Shapiro souhaitait donner à ses œuvres une dimension personnelle et biographique. « Je veux que mon travail amplifie les choses, qu’il porte davantage d’expérience, déclarait-il en 1988 dans un entretien accordé aux Archives of American Art de la Smithsonian Institution. Tout ce à quoi [Donald] Judd s’oppose, je suis pour. »
Dans les années 1970, Joel Shapiro se fait remarquer avec ses petites maisons en fonte, des sculptures miniatures, mélancoliques et posées à même le sol – autant de subversions discrètes de la gravité institutionnelle de la sculpture dans l’espace neutre du white cube.
En 1982, à 41 ans, il bénéficie d’une rétrospective de mi-carrière au Whitney Museum of American Art, qui assoit son statut de maître d’un langage figuratif épuré. L’exposition circulera ensuite au Dallas Museum of Fine Arts (aujourd’hui le Dallas Museum of Art), à l’Art Gallery of Ontario à Toronto, puis au La Jolla Museum of Contemporary Art (désormais le Museum of Contemporary Art San Diego), en Californie.
Parmi ses autres expositions monographiques majeures figurent celles de la Whitechapel Gallery à Londres, du Stedelijk Museum d’Amsterdam, du Nasher Sculpture Center de Dallas et du Walker Art Center de Minneapolis.

Joel Shapiro, ARK, 2020 / 2023-2024. Photo Jonathan Nesteruk. Courtesy Pace Gallery
En 1992, Joel Shapiro quitte la galerie Paula Cooper pour rejoindre PaceWildenstein (aujourd’hui Pace Gallery). Il se réconcilie avec Paula Cooper en 2010, ce qui donnera lieu à une série d’expositions personnelles dans plusieurs galeries new-yorkaises, dont Dominique Lévy, Craig Starr Gallery et Lévy Gorvy Dayan.
Sa dernière exposition personnelle chez Pace à New York, ouverte en septembre 2024, présentait notamment ARK (2020 / 2023-24), une structure en bois à la fois ludique et affirmée, dont les poutres assemblées dessinent la silhouette d’un navire en mouvement. L’œuvre a récemment été acquise par le Museum of Modern Art de New York.
Joel Shapiro vivait dans l’Upper East Side de Manhattan et travaillait dans un atelier situé à Long Island City, dans le Queens, à deux pas du collège qu’il avait fréquenté dans son enfance.
Esprit vif, drôle, réfléchi et volontiers incisif, il parlait de son héritage artistique dans un franc-parler peu commun. « Chronologiquement, je serais un post-minimaliste, mais je pense que toutes ces catégories sont assez vaines. Les artistes essaient toujours de dépasser les cases dans lesquelles on les enferme, déclarait-il en 2020 dans un entretien accordé à The Artist Profile Archive. L’art engendre l’art. C’est un long et vaste dialogue. »